mardi 12 février 2019

Actualité de lecture - Kiosque

     « Le centre Beaubourg qui, au moment de sa construction, avait fait hurler la Réaction, ce qui constituait un label irréfutable de qualité et de vérité pour les Modernes, représentait alors la pointe de ce volontarisme esthétique. Il avait donné le la à cet ébranlement du vieux pays encore secoué par les séismes des deux guerres. Ce qui était d'autant plus curieux que son architecture, inspirée des raffineries et des grands complexes sidérurgiques, disait en soi que le temps de l'industrie était fini, désormais muséifié aux côtés des arts et traditions populaires, qu'il avait dès lors sa place dans le Paris ancien auprès de l'église Sain-Eustache où avait été baptisé Jean-Baptiste Poquelin et enterrée Anna-Maria, la mère de Mozart. Or une église gothique, même si celle-ci, tardive, emprunte à d'autres influences, a cette particularité, comme Beaubourg, d'exposer à l'extérieur, de ne pas chercher à les camoufler, les artifices techniques, contreforts et arcs-boutants, qui lui permettent de s'élever, et aux murs de ne pas s'écarter, rôle joué ici par les gigantesques tuyauteries exposées en façade assurant le bon fonctionnement interne de l'édifice. Sur ce plan, Saint-Eustache et Beaubourg sont construits en miroir. Ce qui dit aussi que ce kiosque tubulaire à l'image du centre d'art contemporain s'inscrivait dans la fin du journal, lequel aura accompagné la révolution industrielle, participé à son désir de changer le monde, et disparu avec elle. La modernité n'est plus. »

Jean Rouaud, Kiosque, Éditions Grasset & Fasquelle, 2019, p 52-3.