Comme un pinceau qui ne se contenterait pas d'apporter une touche nouvelle de couleur ici et là mais déroulerait d'un seul trait tout un pan du paysage, l'accolant à d'autres déjà présents, découpages juxtaposés et qui reconstitueraient peu à peu le tableau d'une Lorraine en guerre ou se préparant à l'être, limité à la fin à son cadre doré, vu(le tableau) d'un train de conscrits en marche dans la campagne ...
« De loin en loin s'élevaient au-dessus de la plaine de hauts clochers surchargés d'ornements baroques, semblables, verticaux et bosselés, à quelques déliquescentes rêveries d'architecte rivalisant dans un ciel brouillé avec les cheminées d'usines et les hauts fourneaux, témoignant, contournés et nostalgiques, de la grandeur passée de princes polonais et de maréchaux aux noms de porcelaine, aux manchettes de dentelles, aux étincelantes et noires cuirasses bordées d'or, de sorte que dans les salles ou les corridors des châteaux qui parfois servaient maintenant de casernes on aurait dit que persistaient les traces laissées par les portraits qui y avaient été accrochés et au bas desquels, sous les visages sanguins ou délicats encadrés de perruques, pouvait se lire quelque titre ducal - ou même royal - évoquant (de même que le nom de cette ville (Baccarat) répété aux carrefours routiers), dans un scintillement de cristal taillé et de virils relents d'écurie, des visions d'amours enguirlandés, de marquises aux décolletés bordés de cygnes, de croupes pommelées, de tricornes et de bottes à cuissards. »
Claude Simon, Le Jardin des Plantes, Les Éditions de Minuit 1997, p 197