(...)
Elle était appréciée de ses élèves et le savait, toujours à leur écoute, disponible, sensible aux problèmes de chacun, des meilleurs comme des moins bons. Elle s'était forgé une réputation de prof gentille, accessible, qui trouve une solution aux multiples petits ennuis et qui n'hésitait pas à intercéder auprès des autorités. Les élèves venaient d'ailleurs s'ouvrir spontanément à elle, lui confiaient leurs soucis et lui demandaient d'intervenir en leur faveur. Elle ne refusait jamais. Je vais voir ce que je peux pour toi. Tu ne sais dire non lui disait-on souvent et ceci devait être entendu comme une mise en garde à peine voilée sinon un reproche.
Une nouvelle année débutait. Pour la seconde fois, elle allait travailler avec des grands, des jeunes qui la passionnaient, dont elle se sentait encore proche, mais qu'elle regardait vivre avec curiosité, agir, s'éveiller avec une attention sans égal comme si déjà un monde la séparait d'eux. Cela l'obligeait à un dur travail mais elle l'affrontait sans crainte et en assumait toutes les péripéties avec zèle et minutie. Elle préparait avec un soin de chartiste ses cours, passait de longues heures en bibliothèque, accumulant tant de documents et d'annotations qu'elle devait consacrer de longs moments, revenue chez elle, à démêler toute cette moisson afin d'y mettre un ordre rigoureux. Cette pratique l'amena à s'intéresser sans en avoir l'air à son sujet de thèse consacrée au XVIIIè siècle et qu'au gré des programmes elle finit par croiser en chemin.
Elle s'est assise à ce qu'elle nommait un peu pompeusement son bureau, à savoir un large et solide plateau de bois placé sur deux tréteaux, disposé perpendiculairement au mur et sur lequel trônait une grosse lampe - le seul luxe qu'elle s'était accordé - ainsi qu'une reproduction presque grandeur nature de l'Arlequin de Picasso, punaisé sans façon sur le mur près de la fenêtre donnant sur le jardin.
Elle a compté les copies. Il n'en manquait aucune. Elle les a classé par ordre alphabétique, s'arrêtant quelques instants sur l'une ou l'autre, attirée par un détail de la présentation, la particularité d'une écriture avec laquelle elle devrait se familiariser, la singularité d'un nom ou d'un patronyme, les épelant et tentant mentalement de localiser ceux et celles qu'ils désignaient sur le plan de la classe qu'elle ne manquait pas de dresser avec le nom des élèves là où ils s'étaient assis le premier jour, les priant de n'en pas changer, selon la méthode qu'elle avait, sur les conseils d'une de ses collègues, adopté et qui lui permettait de savoir à qui l'on avait affaire et de mettre rapidement un nom sur chacun de ces visages qui avaient la particularité de changer chaque année.
Elle a corrigé plusieurs devoirs; les annotant soigneusement selon ses habitudes, se levant parfois pour vérifier telle ou telle affirmation dans un ouvrage ou un dictionnaire. La première dissertation de l'année n'était généralement pas une réussite. Les élèves n'avaient pas encore eu le temps de trouver le rythme, d'atteindre le niveau de réflexion et les connaissances nécessaires ainsi que d'avoir jaugé ce qu'elle attendait d'eux. Le sujet donné était et devait servir de test. Si bien que sa tâche était un peu décevante par manque d'originalité et de variété des copies.
Vers cinq heures, elle s'est offert une petite pause, s'est levée de sa table. Elle est allée préparer de l'eau pour le thé, tradition héritée de sa mère et qu'elle observait le plus régulièrement possible chaque après-midi. En attendant que l'eau chauffe et d'y jeter la poudre, elle est revenue dans la pièce, s'est emparée de la copie suivante, sans retourner à sa table, histoire d'en prendre un premier aperçu et de ne pas perdre le cours de ses réflexions. Elle s'est approchée de la fenêtre, distraitement, attirée peut-être par le reste de lumière d'une fin de journée pluvieuse pour en faire une lecture rapide. Elle allumera la lampe quand elle aura pris son thé préférant faire durer encore un peu la pénombre pour préserver la quiétude de l'appartement.
Dès la première phrase, elle a été surprise par l'angle d'attaque. Elle l'a relue, accrochée, saisie. Comme pénétrant dans un autre monde, différent de ce qu'elle avait laborieusement déchiffré jusqu'ici. Elle n'avait encore - ni aujourd'hui ni l'an dernier - non, elle n'avait encore jamais eu une copie semblable entre les mains. Elle se glissait dans le texte à moins que ce ne soit le texte qui la tire, l'entraîne. Elle lisait. Sans relever une faute, une mauvaise tournure, une ineptie, une inexactitude. Comme si tout esprit critique l'avait soudainement abandonné. Elle lisait, captivée, curieuse de la suite, ligne après ligne, guettant - espérant, peut-être - l'aspérité qui ferait s'écrouler l'édifice qui se construisait devant elle, pur, lumineux, craignant la chute. Elle était toute attention, entièrement absorbée par ce devoir, négligeant les soupirs, dans la cuisine, de la théière qui désespérément s'époumonait et risquait à tout moment de se décoiffer sous l'afflux de vapeur bouillante...
Elle a compté les copies. Il n'en manquait aucune. Elle les a classé par ordre alphabétique, s'arrêtant quelques instants sur l'une ou l'autre, attirée par un détail de la présentation, la particularité d'une écriture avec laquelle elle devrait se familiariser, la singularité d'un nom ou d'un patronyme, les épelant et tentant mentalement de localiser ceux et celles qu'ils désignaient sur le plan de la classe qu'elle ne manquait pas de dresser avec le nom des élèves là où ils s'étaient assis le premier jour, les priant de n'en pas changer, selon la méthode qu'elle avait, sur les conseils d'une de ses collègues, adopté et qui lui permettait de savoir à qui l'on avait affaire et de mettre rapidement un nom sur chacun de ces visages qui avaient la particularité de changer chaque année.
Elle a corrigé plusieurs devoirs; les annotant soigneusement selon ses habitudes, se levant parfois pour vérifier telle ou telle affirmation dans un ouvrage ou un dictionnaire. La première dissertation de l'année n'était généralement pas une réussite. Les élèves n'avaient pas encore eu le temps de trouver le rythme, d'atteindre le niveau de réflexion et les connaissances nécessaires ainsi que d'avoir jaugé ce qu'elle attendait d'eux. Le sujet donné était et devait servir de test. Si bien que sa tâche était un peu décevante par manque d'originalité et de variété des copies.
Vers cinq heures, elle s'est offert une petite pause, s'est levée de sa table. Elle est allée préparer de l'eau pour le thé, tradition héritée de sa mère et qu'elle observait le plus régulièrement possible chaque après-midi. En attendant que l'eau chauffe et d'y jeter la poudre, elle est revenue dans la pièce, s'est emparée de la copie suivante, sans retourner à sa table, histoire d'en prendre un premier aperçu et de ne pas perdre le cours de ses réflexions. Elle s'est approchée de la fenêtre, distraitement, attirée peut-être par le reste de lumière d'une fin de journée pluvieuse pour en faire une lecture rapide. Elle allumera la lampe quand elle aura pris son thé préférant faire durer encore un peu la pénombre pour préserver la quiétude de l'appartement.
Dès la première phrase, elle a été surprise par l'angle d'attaque. Elle l'a relue, accrochée, saisie. Comme pénétrant dans un autre monde, différent de ce qu'elle avait laborieusement déchiffré jusqu'ici. Elle n'avait encore - ni aujourd'hui ni l'an dernier - non, elle n'avait encore jamais eu une copie semblable entre les mains. Elle se glissait dans le texte à moins que ce ne soit le texte qui la tire, l'entraîne. Elle lisait. Sans relever une faute, une mauvaise tournure, une ineptie, une inexactitude. Comme si tout esprit critique l'avait soudainement abandonné. Elle lisait, captivée, curieuse de la suite, ligne après ligne, guettant - espérant, peut-être - l'aspérité qui ferait s'écrouler l'édifice qui se construisait devant elle, pur, lumineux, craignant la chute. Elle était toute attention, entièrement absorbée par ce devoir, négligeant les soupirs, dans la cuisine, de la théière qui désespérément s'époumonait et risquait à tout moment de se décoiffer sous l'afflux de vapeur bouillante...
Oh purée ! Tu l'as fait exprès... !!!
RépondreSupprimerJ'ai plongé dans ton récit admirant l'exactitude du propos, la poésie de certains mots. J'ai plongé comme Elle dans cette copie étonnante devinant la surprise, l'émotion et la joie d'y trouver quelque chose d'inattendu, de surprenant... et craignant aussi l'erreur, la chute... qui est arrivée bien sûr... !
Cruel auteur qui nous appâtes avec un texte passionnant et qui termine (ne termine pas plutôt) avec des points de suspension....
J'étais suspendue à tes mots.
Il me faut la suite, absolument...
Au boulot Jeandler... Vite, vite...
Merci :-)
Lire un texte , ce laisser happer , suivant son humeur ... un jeu entre le lecteur et l'auteur ... une affaire d'harmonie ...
RépondreSupprimerOupps , (se) laisser
RépondreSupprimerje veux bien lui apporter son eau bouillante, son thé, allumer la lumière, passer l'aspirateur même, mais surtout pour avoir la suite !
RépondreSupprimerDe lien en lien, je découvre avec bonheur ton carnet d'écriture que je glisse dans mes liens, pour venir te lire, très vite ... car, week-end oblige, internet est pour l'instant (presque) proscrit ;)
RépondreSupprimerAmitiés
Domi
Transportée dans ton univers et devant en sortir si vite...
RépondreSupprimerTu es cruel!
lu et relu et relu encore ... j'aime, oui j'aime, moi qi n'ai jamais aimé l'école...
RépondreSupprimermerci