jeudi 1 septembre 2011

La rentrée




     Elle venait de sortir de sa serviette son premier paquet de copies de l'année et l'avait étalé sur la table. Elle allait y consacrer l'après-midi. Et en poursuivre la correction pendant la soirée si elle n'était dérangée ou si elle en avait l'envie. Elle n'avait pas d'autre projet, ni d'  aller au cinéma, les programmes de la semaine ne lui avaient rien dit, ni de flâner dans les rues ou dans les magasins. On annonçait de la pluie pour le week-end. Et  d'ailleurs, la pluie était déjà là, mouillant les vitres. Il pleuvait décidément ici autant qu'à Paris sans compter les jours de brouillard. En jetant un coup d'oeil sur le jardin, en contre-bas, elle découvrit la cime brillante de l'ailante envahissante, un peu de lumière surgie entre deux nuages et qui se réfléchissait sur les larges feuilles mouillées, les rendant luisantes et métalliques. Mais cette grisaille ne la contrariait pas. Elle se sentait bien. Heureuse, pensa-t-elle, en laissant retomber le rideau et se dirigeant vers sa table. Heureuse de retrouver des devoirs et, à travers eux, de découvrir ses nouveaux élèves. Heureuse aussi d'être chez elle, d'avoir un appartement qu'elle jugeait confortable, un petit chez soi qu'avec sa mère, venue à la rescousse, elles avaient toutes deux déniché et agencé dès son arrivée ici, en plein centre ville, un quartier devenu piétonnier et tranquille, à deux pas du lycée. Heureuse, enfin, d'exercer son métier d'enseignante, quatre années déjà... Contrairement à ce qu'elle entendait raconter autour d'elle et qui s'étalait comme à plaisir dans les journaux, il ne lui pesait pas, bien au contraire. Elle conservait intact l'enthousiasme de sa première année, l'année des découvertes, quand elle fut nommée dans un collège d'une ville qu'elle ne connaissait pas, à l'autre bout du pays. Elle n'avait, au sortir du concours, exprimé aucun choix, sollicité aucune faveur malgré les offres discrètes qu'on lui avait fait sinon avoir déclaré être disponible pour toute destination. Elle s'y était immédiatement trouvé à l'aise. Elle avait sans aucun doute eu de la chance: pas de problèmes de discipline, malgré sa jeunesse et son inexpérience. D'instinct, peut-être, et sans trop se poser de questions, elle avait trouvé la bonne manière. Tout métier ne devient difficile que si l'on y réfléchit trop, que l'on hésite dans ses choix. Elle abordait ses élèves avec le sourire, leur prêtant une oreille attentive. Elle savait où diriger ses pas et portait en elle une telle ardeur, une telle fraîcheur, une gaieté aussi qui faisait plaisir à voir et qui charmait ses élèves. Elle y ajoutait une telle passion que toute son existence sinon son être lui-même semblait se ramasser, se concentrer dans l'exercice exclusif de ce qu'il fallait bien appeler un sacerdoce qu'elle découvrait à mesure, adaptait et amplifiait et auquel elle était depuis toujours déterminée à se consacrer. Ce qu'elle était bien prête de considérer comme une vocation lui avait fait refuser une bourse qu'un de ses professeurs de Faculté lui avait proposé après sa brillante année  d'agrégation pour commencer une Thèse. Celui-ci n'avait réussi cependant après plusieurs rencontres infructueuses qu'à lui faire accepter un sujet auquel elle n'avait depuis consacré que quelques molles après-midi  qu'elle s'était accordées dans la pourtant riche bibliothèque de la ville où elle venait d'arriver. Lorsque l'année passée, elle reçu son affectation au Lycée Stendhal, elle prit cela pour une promotion et redoubla de ferveur d'autant que sa toute neuve agrégation lui ouvrait les prestigieuses classes préparatoires. Mais elle avait tenu lors de sa visite de courtoisie chez le Proviseur à vouloir conserver aussi la charge d'une classe moins élitiste ce qui fut accepté avec empressement tant le cas d'une semblable demande était rare. 
(...)

12 commentaires:

  1. Un texte qui fait du bien.
    J'ai toujours défendu l'idée que "l'instinct" accompagné de présence est la base préalable sur laquelle se cultive l'autorité.

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  2. J'aime lorsque tu fais parler, penser la femme... surement ton côté féminin... cela me rappelle les premières pages de cet espace...

    j'aime beaucoup

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  3. Ce sont des gens comme ça qu'il faut pour nos enfants, pour tous les enfants. Des passionné(e)s que l'on devrait considérer avec beaucoup plus de respect.
    Un joli texte que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir .
    Merci d'être venu me rendre visite sur mon blog.
    Bonne soirée à toi !

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  4. Très joli texte !
    Envie de connaître la suite !

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  5. Moi aussi j'attends la suite avec joie.

    Je suis surprise que la formation et le recrutement des enseignants donne si peu de part à la personnalité de l'enseignant, à ses aptitudes pédagogiques. C'est navrant.

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  6. Partager un savoir , écouter les anciens ... cela se perd et pourtant quelle importance ! Un ancien qui meurt c'est une bibliotheque qui s'évapore proverbe africain , je crois

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  7. superbe.
    cela existe encore ou bien c'est un rêve ?

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  8. Une espèce en voie de disparition, hélas !
    Les conditions dans lesquelles sont formés les jeunes profs d'aujourd'hui et la manière dont ils sont catapultés sur des établissements où ils ont toutes les chances de ne pas pouvoir exercer leur métier sereinement sont plus qu'inquiétantes, c'est une catastrophe pour nos enfants, ou petits-enfants. On voudrait couler l'enseignement public, on ne s'y prendrait pas autrement.

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  9. La plume vagabonde , l'encre en alerte une brise de poésie ...

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  10. La rentrée est passée. A quand le prochain épisode???

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  11. > Non, le temps de la rentrée n'est pas passé ! Je me rends à vos souhaits et m'exécute. C'est chose faite ce jeudi 6 octobre. Quelle impatience !

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