Quand elle a terminé sa distribution, elle a constaté d'un rapide coup d'oeil que Brion, contrairement à tous ses camarades, avait fait disparaître immédiatement sa copie. Il avait ouvert ses notes devant lui et, indifférent à l'agitation autour de lui, semblait absorbé dans leur lecture tandis que chacun discutait, comparait, argumentait à voix basse ou qui se voulait être basse, avec son voisin ou sa voisine... Des questions ont commencé à fuser. Nous verront tout cela mercredi. Je préfère que vous réfléchissiez et repensiez au sujet calmement entre temps. Nous ferons la synthèse de vos remarques et je vous donnerais le canevas de ce qu'il aurait fallu dégager. Nous allons ce matin poursuivre notre étude du siècle des Lumières. Je voudrais vous présenter l'Emile, livre de Jean-Jacques Rousseau sur l'éducation, en introduction au prochain thème de votre travail : l'enfant au XVIIIè siècle...
Le calme est revenu. De temps à autre, son regard croise celui de Brion. Un visage lisse qui ne laisse transparaître aucune émotion, aucun sentiment, aucune expression particulière, seule, peut-être, une attention polie. Quand il lève la tête de ses notes, elle découvre comme une sorte d'aura qui émane de sa personne. Peut-être dûe, pense-t-elle, à la fraîcheur de son teint, la blondeur de ses cheveux. Elle ne savait au juste et n'avait pas loisir de creuser la question. Elle a été frappée par ses sourcils qu'il avait rares et presque décolorés - peut-être par le soleil de l'été - ce qui accentuait la douceur des traits de son visage. Elle a ressenti soudain en elle comme la naissance d'un malaise... Elle a saisi ses notes, elle s'est levée du bureau et, tout en poursuivant son exposé, elle a traversé la salle, passé entre les rangées de tables comme si elle avait voulu porter au plus près de chacun son message, redoublant de persuasion, espérant ainsi se dégager de l'emprise du visage de Brion qui ne cessait de l'interroger, de s'en distraire, de s'en éloigner, pour l'oublier un peu. Elle était maintenant tout au fond de la salle. Elle avait devant elle tous ces jeunes de dos, penchés sur leur table, appliqués ou peu s'en fallait à saisir son discours dans son intégralité. Et parmi toutes ces têtes dociles et attentives, il y en avait une sur laquelle son regard s'est arrêté, malgré elle, une nuque blonde et hâlée...
A une question de l'un d'eux, tous se sont arrêtés d'écrire et se sont tournés vers elle pour quêter la réponse. Cela a produit une sorte de remue-ménage qui l'a surprise et est venu la frapper de plein fouet telle une vague que l'on n'a pas vu venir. Elle a presque eut honte d'en être la cause et s'est sentie subitement ridicule d'être là, plantée au fond de la classe, ne leur faisant plus face. Une erreur pédagogique évidente. Qu'allaient-ils penser de son attitude ? Elle a regagné le bureau à petits pas et a fait courageusement face à son auditoire pour commenter et répondre.
La matinée était belle et douce. Une journée d'un été qui se prolonge et qui pouvait faire rêver aux vacances. On avait ouvert une fenêtre et on entendait, venant des classes voisines, d'autres voix, plus ou moins persuavives, plus ou moins graves ou aigües, plus ou moins fortes, l'une d'elle qui se transformait soudain en un éclat qui résonnait un court instant à travers l'espace vide de la cour... Elle a regardé sa montre discrètement comme prise d'une sorte de lassitude. Elle aurait aimé à ce moment entendre la sonnerie marquant la fin du cours. Elle avait encore dix minutes pour conclure.
Elle a jeté un bref regard sur un Brion indifférent - c'est le mot qui lui est venu à l'esprit - et qui semblait rêvasser, regardant en direction de la fenêtre ouverte alors que tous les autres s'appliquaient à ne manquer un seul mot de ce qu'elle racontait. A quoi pensait-il ? Suivait-il l'exposé. Elle s'est demandé à la fin si son discours l'intéressait. Et voici qu'il la dévisage à son tour. Elle a détourné la tête mais est revenue aussitôt sur lui. Il n'a pas bronché. Ce qui fait qu'elle a détourné encore une fois son propre regard. Le manège se poursuivit et elle constate chaque fois qu'il ne change pas de position. Elle a fini par lui faire remarquer avec étonnement qu'il ne prenait pas de notes. Il n'a rien répondu. Il a continué un instant de soutenir son regard... Une tête à claques s'est-elle dit retrouvant à l'occasion une expression favorite de sa mère. Peut-être se rend-t-il compte de l'impertinence de son insistance, car après un bref moment, il détourne les yeux et se penche sur sa feuille et se met à griffonner quelque chose. Il me juge a-t-elle immédiatement compris. Aurais-je peur du jugement de mes élèves ? En quoi cela avait-il de l'importance ? Tous les élèves jugent leurs profs. Et cela ne l'avait jamais atteinte quand on lui avait rapporté ou entendu elle-même ces racontars. Pourquoi aujourd'hui prêterait-elle de l'importance à ces discours ? Peut-être lui en voulait-il de n'avoir fait aucun commentaire en lui donnant sa copie ? Ne l'avait-elle pas ce faisant blessé ? Ce garçon ne pouvait qu'être conscient de sa valeur. Bien que ne semblant ni fier et arrogant, on lui avait tant de fois soufflé de compliments dans les oreilles... Peut-être portait-il sa fierté à l'intérieur, bien à l'abri, bien au chaud. Ce sont ces fiertés-là qui sont les plus vulnérables. L'amour-propre est fragile. Au creux de l'intime. On peut toujours se dire qu'il est conscient de sa supériorité sans en rien faire paraître. Mais elle est là et a besoin qu'on les autres la cultive. La sonnerie la fait presque sursauter et interrompre sa double réflexion. Elle a terminé sa phrase abruptement,l'infléchissant aussitôt d'un ton conclusif. Elle a ramassé ses documents aussi vite que possible et raisonnable. Il lui fallait prendre l'air le plus rapidement possible. Elle a eut le temps d'entendre venant du fond de la salle un " Elle est bien pressée aujourd'hui !" que déjà elle franchissait le seuil de la salle. C'était la rentrée...
Le calme est revenu. De temps à autre, son regard croise celui de Brion. Un visage lisse qui ne laisse transparaître aucune émotion, aucun sentiment, aucune expression particulière, seule, peut-être, une attention polie. Quand il lève la tête de ses notes, elle découvre comme une sorte d'aura qui émane de sa personne. Peut-être dûe, pense-t-elle, à la fraîcheur de son teint, la blondeur de ses cheveux. Elle ne savait au juste et n'avait pas loisir de creuser la question. Elle a été frappée par ses sourcils qu'il avait rares et presque décolorés - peut-être par le soleil de l'été - ce qui accentuait la douceur des traits de son visage. Elle a ressenti soudain en elle comme la naissance d'un malaise... Elle a saisi ses notes, elle s'est levée du bureau et, tout en poursuivant son exposé, elle a traversé la salle, passé entre les rangées de tables comme si elle avait voulu porter au plus près de chacun son message, redoublant de persuasion, espérant ainsi se dégager de l'emprise du visage de Brion qui ne cessait de l'interroger, de s'en distraire, de s'en éloigner, pour l'oublier un peu. Elle était maintenant tout au fond de la salle. Elle avait devant elle tous ces jeunes de dos, penchés sur leur table, appliqués ou peu s'en fallait à saisir son discours dans son intégralité. Et parmi toutes ces têtes dociles et attentives, il y en avait une sur laquelle son regard s'est arrêté, malgré elle, une nuque blonde et hâlée...
A une question de l'un d'eux, tous se sont arrêtés d'écrire et se sont tournés vers elle pour quêter la réponse. Cela a produit une sorte de remue-ménage qui l'a surprise et est venu la frapper de plein fouet telle une vague que l'on n'a pas vu venir. Elle a presque eut honte d'en être la cause et s'est sentie subitement ridicule d'être là, plantée au fond de la classe, ne leur faisant plus face. Une erreur pédagogique évidente. Qu'allaient-ils penser de son attitude ? Elle a regagné le bureau à petits pas et a fait courageusement face à son auditoire pour commenter et répondre.
La matinée était belle et douce. Une journée d'un été qui se prolonge et qui pouvait faire rêver aux vacances. On avait ouvert une fenêtre et on entendait, venant des classes voisines, d'autres voix, plus ou moins persuavives, plus ou moins graves ou aigües, plus ou moins fortes, l'une d'elle qui se transformait soudain en un éclat qui résonnait un court instant à travers l'espace vide de la cour... Elle a regardé sa montre discrètement comme prise d'une sorte de lassitude. Elle aurait aimé à ce moment entendre la sonnerie marquant la fin du cours. Elle avait encore dix minutes pour conclure.
Elle a jeté un bref regard sur un Brion indifférent - c'est le mot qui lui est venu à l'esprit - et qui semblait rêvasser, regardant en direction de la fenêtre ouverte alors que tous les autres s'appliquaient à ne manquer un seul mot de ce qu'elle racontait. A quoi pensait-il ? Suivait-il l'exposé. Elle s'est demandé à la fin si son discours l'intéressait. Et voici qu'il la dévisage à son tour. Elle a détourné la tête mais est revenue aussitôt sur lui. Il n'a pas bronché. Ce qui fait qu'elle a détourné encore une fois son propre regard. Le manège se poursuivit et elle constate chaque fois qu'il ne change pas de position. Elle a fini par lui faire remarquer avec étonnement qu'il ne prenait pas de notes. Il n'a rien répondu. Il a continué un instant de soutenir son regard... Une tête à claques s'est-elle dit retrouvant à l'occasion une expression favorite de sa mère. Peut-être se rend-t-il compte de l'impertinence de son insistance, car après un bref moment, il détourne les yeux et se penche sur sa feuille et se met à griffonner quelque chose. Il me juge a-t-elle immédiatement compris. Aurais-je peur du jugement de mes élèves ? En quoi cela avait-il de l'importance ? Tous les élèves jugent leurs profs. Et cela ne l'avait jamais atteinte quand on lui avait rapporté ou entendu elle-même ces racontars. Pourquoi aujourd'hui prêterait-elle de l'importance à ces discours ? Peut-être lui en voulait-il de n'avoir fait aucun commentaire en lui donnant sa copie ? Ne l'avait-elle pas ce faisant blessé ? Ce garçon ne pouvait qu'être conscient de sa valeur. Bien que ne semblant ni fier et arrogant, on lui avait tant de fois soufflé de compliments dans les oreilles... Peut-être portait-il sa fierté à l'intérieur, bien à l'abri, bien au chaud. Ce sont ces fiertés-là qui sont les plus vulnérables. L'amour-propre est fragile. Au creux de l'intime. On peut toujours se dire qu'il est conscient de sa supériorité sans en rien faire paraître. Mais elle est là et a besoin qu'on les autres la cultive. La sonnerie la fait presque sursauter et interrompre sa double réflexion. Elle a terminé sa phrase abruptement,l'infléchissant aussitôt d'un ton conclusif. Elle a ramassé ses documents aussi vite que possible et raisonnable. Il lui fallait prendre l'air le plus rapidement possible. Elle a eut le temps d'entendre venant du fond de la salle un " Elle est bien pressée aujourd'hui !" que déjà elle franchissait le seuil de la salle. C'était la rentrée...
Saurons nous ce qui se passe dans la "tête à claques" de Brion ? :-)
RépondreSupprimerBravo pour cette très réaliste analyse de sentiments... La prof qui perd un peu pied face à cet élève hors norme est très vraie...
RépondreSupprimerJ'aurais aimé que l'aventure se poursuive...
Bravo Jeandler pour ce récit...
Je suis arrivée en retard aux cours, mais j'ai rattrapé les leçons précédentes.
RépondreSupprimerUn plaisir de lire les pensées de la jeune prof : tout y est ! Je n'aimerai pas être à sa place...
Dur métier que celui de prof, mais dure, aussi, la condition de l'élève trop brillant - surdoué peut-être - qui n'a probablement pas sa place dans une classe "ordinaire" ...
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