lundi 17 janvier 2011

     (...)

     Tu m'interroges sur ce que je fais, sur mes projets. Tu as aimé ma dernière exposition. Tu as lu le livre. Tu t'enthousiasmes tout en disant. M'encourages. Me donnes un conseil au passage. Tu sais tout de moi ou presque quand je sais si peu de toi. Tu parles, tu parles comme jamais. Que t'arrive-t-il ? Cherches-tu à me cacher quelque chose d'essentiel ? Cherches-tu à te dérober, pire, à te justifier ? Comment puis-je te prêter de telles pensées ? Un visage aussi lumineux, aussi candide! Si près de moi. Comment ai-je pu m'en tenir éloignée, supporter cette distance entre nous ? Etre privée du réconfort de sa présence, de sa chaleur ? Un regard si limpide. Ta force. Et toi, si sûr d'elle. Une force tranquille. Et qui met à l'abri de tout.

     J'ai caressé ce visage. Mes doigts sur lui, cent fois, mille fois, l'ont frôlé, effleuré, dessinant ses traits. Gestes répétés et chaque fois surprise que cela fut encore possible. Tu riais à la fin de tant d'insistance, mordillais mes doigts ... Des caresses sans nom. Le souvenir de la fleur si fine de ta peau. Ton corps à respirer, ce grand corps massif, si lent à s'éveiller, sortant doucement de sa torpeur. Mon gros ours. Mon petit ourson que je caress...

     Tu as l'air préoccupée ? Ta question me tombe dessus, me fouette, presque dure. Quelque chose qui ne va pas ? Comment dire ? Non, excuse-moi, un peu fatiguée en ce moment. Je pensais à autre chose. Cette rencontre si inattendue, si surprenante. Tu pars combien de temps là-bas ? Deux mois, peut-être quatre ... Je ne sais au juste. Tout dépend de ce que je trouverai, des gens, des contrats. On part pour une chose puis, une fois sur place, on vous demande ou en fait autre chose ... L' Australie, c'est un continent si peu connu, si à part. Il faut faire vite. Beaucoup de gens s'y intéressent déjà. Avant qu'il ne soit trop tard.

     Toujours à courir le monde, mon ourson. De plus en plus sollicité par les agences. Débordant d'idées. Difficile à suivre ou bien aurais-je  déjà oublié comment c'était ? Tu me parles comme si nous nous étions quittés hier, me racontant ton dernier rendez-vous, tes espoirs, ce que tu voudrais faire, avec qui... Ah, oui, tu ne connais pas! Ce sont des gens qui ont participé à l'illustration de ce gros ouvrage sur ce peintre anglais... aide-moi... dont on a beaucoup parlé à la suite de l'exposition. Une découverte! Turner, oui... Une chose difficile à négocier, l'accès aux collections privées...

     Comment s'attacher à quelqu'un qui est perpétuellement ailleurs, même et surtout lorsque vous l'avez devant vous ? Tu es de ces individus qui vous glissent avec agilité, facilité, avec un sourire, entre les doigts. Fuyant, vif-argent. Je ne veux pas dire que tu t'échappes volontairement. C'est naturel chez toi. C'est dans ton tempérament. Bien peu tempéré, ton tempérament! Indifférence aux gens ? Je n'ose le croire. Ne peut m'y résoudre. Te sachant capable d'être si attentif aux autres quand tu le veux. Restant à distance, certes. Préférant croiser les gens dans la rue. Les dévisager. Volant leur apparence. Un papillon qui butine. Sans port d'attache. Tu dessines toujours? me demandes-tu, t'intéressant soudain à moi, lassé de parler de toi, peut-être ayant deviné la dérive dans laquelle tu m'entraînes. Parfois, quand je ne sais que faire... C'est rare, tu sais. Tu vis seule ? Toi, me poser cette question ?  Je souris. Toi qui te passes si bien des autres, qui les vois à peine... Tu aurais dû être myope... Des amis, rien  que des amis. Tu m'as beaucoup manquée, mais ça je ne te le dirai pas. Tu m'as beaucoup marquée aussi, mûrie. Ancrée dans la vie. Je suis heureuse, tu sais. Malgré tout. Mais je n'ose lui dire tout cela. Pas plus que le questionner sur sa vie. Sur sa vie privée. Les questions brûlantes, toutes prêtes mais si banales si l'on réfléchit. Questions  ressassées et restées sans réponses. Difficile de dire, difficile à imaginer. L' homme que l'on a admiré, qu'on a aimé, partageant un temps votre vie... Je ne pouvais encore y croire. J'ai préféré ne pas savoir. Tu vis seul, toi? La question, pour toi, pouvait être tout simplement absurde. Capable de vivre dans la solitude la plus complète comme au milieu d'un groupe, passant des heures, des nuits à l'atelier, débordant d'énergie. Homme-orchestre. Et, quand la fatigue, par hasard, te terrassait, dormant n'importe où, chez n'importe qui... C'est comme cela qu'un soir je t'accueillis. Quand je pense à nous deux, à ces jours vécus ensemble, je me demande s'il y a place pour beaucoup de femmes en toi ?
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