jeudi 8 mars 2012

réunion

    
     On ne l'avait jamais entendu dire non. Non, jamais. Dans une discussion, il se tenait à distance respectueuse. Il campait sur les marges, loin des turbulences. Loin des courants. Comme en réserve mais sur le qui-vive. Cette attitude lui était imputée généralement comme plutôt favorable. Il donnait le change. Un hôchement de tête, quelques mots à mi-voix avec ses voisins, un mouvement de la main. Histoire de montrer qu'il était bien là, présent, participant. Chacun ainsi interprétant ses silences dans le sens qui l' arrangeait, valable comme un accord tacite, sous-entendu, tombant sous le sens pour peu qu'une dose de crescendo vienne colorer la réunion et qu'on le vit sourire.

     Certains, cependant, considéraient cette attitude comme trop complaisante et ne ménageaient pas en sous main leurs critiques, taxant leur collègue de timidité ou de mollesse. D'autres, sans indulgence aucune, allant jusqu'à parler de servilité. Ces choses ne l'atteignaient pas et le laissaient de glace. Prendre parti lui semblait rogner sa part de liberté personnelle. Toute opinion en ces domaines lui paraissant abusivement tranchée et obéissant plutôt à des préférences de clans et de groupes d'influence ayant for peu à voir avec le problème de fond si toutefois il y en avait un. Tout manichéisme, pensait-il, ampute la réalité, escamote la diversité  et biaise la réalité. Toute affirmation et son contraire se révélant à la longue, comme également vrais. Il discernait trop vite sous l'échange, le parti-pris qui couvait sous le charme de la rhétorique. Toute conversation un peu longue lui tournait la tête et le faisait immédiatement entrer dans ses pensées personnelles, son monde à lui où il s'évadait un instant. Soutenir une controverse était hors de ses possibilités principalement lorsqu'elle s'éternisait ou tournait à l'aigre. Dans ce cas, il avait l'impression, se détachant immédiatement de la mêlée, d'assister de loin à une scène de théâtre où chacun se révélait sous un jour inattendu et le plus souvent cocasse. De participant, il devenait spectateur d'un jeu  d'où il se retirait en coulisse. Il restait dans l'expectative, une attente prudente et somme toute confortable où il se permettait de juger à part soi. Ainsi, aux yeux de certains paraissait-il comme l'indécision même, et incapable en maintes occasions de prendre parti. Mais s'il ne le faisait savoir, il exprimait ses choix lors du vote final sans avoir à proclamer urbi et orbi ses opinions sur toute chose et à tout propos. Une opinion, pensait-il, ne s'établit que sur du sable et  bien sots ceux qui n'en changeront pas. 

     Prudent jusque dans la discrétion, on pouvait se confier à lui. Mesuré en ses paroles jusqu'à la réserve , on avait généralement confiance en lui. Dire qu'il n'était d'aucun parti aurait été une absurdité. Il avait ses idées bien à lui mais il ne les exprimait jamais sans avoir pesé le pour et le contre. Aussi n'aimait-il pas les esprits bornés, tout d'un bloc et murés dans leurs convictions. Ce qu'il s'efforçait en fait, c'était de préserver son intimité, son moi intérieur, sa citadelle que personne jusqu'ici n'avait vraiment atteinte. Un excès d'égotisme, sans doute.

Aussi, dés la réunion terminée, la séance levée, ramassait-il prestement ses affaires quand il ne les avait pas déjà préparées d'avance sentant venir l'épuisement de la discussion et il se levait, se faufilait entre ses collègues, faisant quelques signes de têtes à l'un ou à l'autre, serrant une main par ci et par là, il prenait la poudre d'escampette, se découvrant soudain des impatiences dans les jambes et un besoin urgent de respirer l'air pur.


5 commentaires:

  1. A-t-il tord ?
    il n'y a pas vraiment de réponse à donner...
    il est libre à l'intérieur des formes imposées...
    N'est-ce pas suffisant ?

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  2. On masque ce qu'on veut cacher. Cache-t-il quelque chose ? Ou affiche-t-il finalement l'indépendance de sa position ? A-priori, toute intervention de sa part serait artificielle dans ces débats, quelle place lui laisse-t-on vraiment...
    Le silence est un acte en soi.

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  3. Bonjour

    Un homme-arbre qui regarde passer les nuages dans lesquels il y a bien plus à lire que dans les bouches aux dents trop longues...

    "La Pierre et la Plume"

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