dimanche 11 décembre 2011

carnet 27

27.11.2011

Peuplier au bord de l'eau

Un murmure qu'au passage je perçois
venu je ne sais d'où
comme porté par le vent
un mouvement dans ces feuilles
et qui les rend soudain bavardes.

Un murmure qui se glisse et poudroie
amulettes  offertes au bord du chemin
s'allumant s'éteignant
comme autant de soleils en clins d'oeil
paroles miroitantes jetant un dernier cri
et que je puis traduire.

Suspendant ma marche intrigué
je  contemple cette brassée de feuilles
en leur déclin
et je comprends alors
que par leur babillage 
elles saluent en cet instant 
mon ultime passage en ce lieu.

lundi 28 novembre 2011

carnet 27

21.11.2011

L'arbre

Voici venir le temps quand l'arbre se dessine ...

Hier encore
quelques feuilles dolentes
sans plus de sève ni de besoin
dans le vent mollement tournoyant
cachaient sa charpente

Et ce matin nu entièrement nu
il se dresse ses nouvelles ramures enfin comptant
et dans le ciel s'élance et pose
son corps offert aux rayons d'un soleil de novembre

Et tout l'hiver il s'offrira ainsi tel le discobole
noueux nerveux tendu
tous muscles saillants sous sa peau d'ébène
heureux et fier de sa stature

Voici venu le temps quand l'arbre se dépouille




jeudi 17 novembre 2011

Carnet 27

14.11.2011

     Elle rentre le soir par les routes et les chemins sans feu ni flamme été comme hiver sa journée terminée de fil en aiguille de fermes en fermes une botte de foin ou un ballot de paille tant bien que mal arrimés à l'arrière une betterave en saison dans le cageot devant pour les lapins une bouteille de lait encore tiède dans son sac trois oeufs frais dans un papier journal son repas du soir au guidon et je la vois en roue libre arrivant comme si c'était hier sautant comme à vingt ans de sa machine cette ombre qui se glisse silencieusement ce soir dans mon propos d'aujourd'hui... M, la couturière.

samedi 12 novembre 2011

carnet 27

07.11.2011


     Pois. Purée de poix. C'est pas de la pluie. C'est de  la poisse qui tombe. Un friselis sans un parfum de rossolis. C'est collant. C'est puant. Ça colle et il faut vivre tout le jour là-dedans. Rester coi. Quoi ? Rester couard. Rester sourd... Facile, il n'y a pas de boucan. Ça tombe bien. Pas un souffle. Pas un nuage en déménage. Pas un pet de chien. Pas une nonne. Pas un passant. Personne dans la rue. Pas de pétarade. Pas de grenade qui sursaute. La marmelade. La panade. Le silence et l'ennui... La nuit tombera de toute manière. Sans un faux-pli. Sans prévenir. Dans le droit fil de la journée. Parce que tout le jour c'était déjà le soir. On ferme. On éteint les lumières. On baisse le rideau. On se tire. Un soupir.

" Nous ne sommes plus un siècle de paradis ", écrivait Henri Michaux, il y a quelque temps... 

mardi 8 novembre 2011

la rentrée (5)



     Quand elle a terminé sa distribution, elle a constaté d'un rapide coup d'oeil que Brion, contrairement à tous ses camarades, avait fait disparaître immédiatement sa copie. Il avait ouvert ses notes devant lui et, indifférent à l'agitation autour de lui, semblait absorbé dans leur lecture tandis que chacun discutait, comparait, argumentait à voix basse ou qui se voulait être basse, avec son voisin ou sa voisine... Des questions ont commencé à fuser. Nous verront tout cela mercredi. Je préfère que vous réfléchissiez et repensiez au sujet calmement entre temps. Nous ferons la synthèse de vos remarques et je vous donnerais le canevas de ce qu'il aurait fallu dégager. Nous allons ce matin poursuivre notre étude du siècle des Lumières. Je voudrais vous présenter l'Emile, livre de Jean-Jacques Rousseau sur l'éducation, en introduction au prochain thème de votre travail : l'enfant au XVIIIè siècle...

     Le calme est revenu. De temps à autre, son regard croise celui de Brion. Un visage lisse qui ne laisse transparaître aucune émotion, aucun sentiment, aucune expression particulière, seule, peut-être, une attention polie. Quand il lève la tête de ses notes, elle découvre comme une sorte d'aura qui émane de sa personne. Peut-être dûe, pense-t-elle, à la fraîcheur de son teint, la blondeur de ses cheveux. Elle ne savait au juste et n'avait pas loisir de creuser la question. Elle  a été frappée par ses sourcils qu'il avait rares et presque décolorés - peut-être par le soleil de l'été - ce qui accentuait la douceur des traits de son visage. Elle a ressenti soudain en elle comme la naissance d'un malaise... Elle a saisi ses notes, elle s'est levée du bureau et, tout en poursuivant son exposé, elle a traversé la salle, passé entre les rangées de tables comme si elle avait voulu porter au plus près de chacun son message, redoublant de persuasion, espérant ainsi se dégager de l'emprise du visage de Brion qui ne cessait de l'interroger, de s'en distraire, de s'en éloigner, pour l'oublier un peu. Elle était maintenant tout au fond de la salle. Elle avait devant elle tous ces jeunes de dos, penchés sur leur table, appliqués ou peu s'en fallait à saisir son discours dans son intégralité. Et parmi toutes ces têtes dociles et attentives, il y en avait une sur laquelle son regard s'est arrêté, malgré elle, une nuque blonde et hâlée...

     A une question de l'un d'eux, tous se sont arrêtés d'écrire et se sont tournés vers elle pour quêter la réponse. Cela a produit une sorte de remue-ménage qui l'a surprise et est venu la frapper de plein fouet telle une vague que l'on n'a pas vu venir. Elle a presque eut honte d'en être la cause et s'est sentie subitement ridicule d'être là, plantée au fond de la classe, ne leur faisant plus face. Une erreur pédagogique évidente. Qu'allaient-ils penser de son attitude ? Elle a regagné le bureau à petits pas et a fait courageusement face à son auditoire pour commenter et répondre.

     La matinée était belle et douce. Une journée d'un été qui se prolonge et qui pouvait faire rêver aux vacances. On avait ouvert une fenêtre et on entendait, venant des classes voisines, d'autres voix, plus ou moins persuavives, plus ou moins graves ou aigües, plus ou moins fortes, l'une d'elle qui se transformait soudain en un éclat qui résonnait un court instant à travers l'espace vide de la cour... Elle a regardé sa montre discrètement comme prise d'une sorte de lassitude. Elle aurait aimé à ce moment entendre la sonnerie marquant la fin du cours. Elle avait encore dix minutes pour conclure.

     Elle a jeté un bref regard sur un Brion indifférent - c'est le mot qui lui est venu à l'esprit - et qui semblait rêvasser, regardant en direction de la fenêtre ouverte alors que tous les autres s'appliquaient à ne manquer un seul mot de ce qu'elle racontait. A quoi pensait-il ? Suivait-il l'exposé. Elle s'est demandé à la fin si son discours l'intéressait. Et voici qu'il la dévisage à son tour. Elle a détourné la tête mais est revenue aussitôt sur lui.  Il n'a pas bronché. Ce qui fait qu'elle a détourné encore une fois son propre regard. Le manège se poursuivit et elle constate chaque fois qu'il ne change pas de position. Elle a fini par lui faire remarquer avec étonnement qu'il ne prenait pas de notes. Il n'a rien répondu. Il a continué un instant de soutenir son regard... Une tête à claques s'est-elle dit retrouvant à l'occasion une expression favorite de sa mère. Peut-être se rend-t-il compte de l'impertinence de son insistance, car après un bref moment, il détourne les yeux et se penche sur sa feuille et se met à griffonner quelque chose. Il me juge  a-t-elle immédiatement compris. Aurais-je peur du jugement de mes élèves ? En quoi cela avait-il de l'importance ? Tous les élèves jugent leurs profs. Et cela ne l'avait jamais atteinte quand on lui avait rapporté ou entendu elle-même  ces racontars. Pourquoi aujourd'hui prêterait-elle de l'importance à ces discours ? Peut-être lui en voulait-il de n'avoir fait aucun commentaire en lui donnant sa copie ? Ne l'avait-elle pas ce faisant blessé ? Ce garçon ne pouvait qu'être conscient de sa valeur. Bien que ne semblant ni fier et arrogant, on lui avait tant de fois soufflé de compliments dans les oreilles... Peut-être portait-il sa fierté à l'intérieur, bien à l'abri, bien au chaud. Ce sont ces fiertés-là qui sont les plus vulnérables. L'amour-propre est fragile. Au creux de l'intime. On peut toujours se dire qu'il est conscient de sa supériorité sans en rien faire paraître. Mais elle est là et a besoin qu'on les autres la cultive. La sonnerie la fait presque sursauter et interrompre sa double réflexion. Elle a terminé sa phrase abruptement,l'infléchissant aussitôt d'un ton conclusif. Elle a ramassé ses documents aussi vite que possible et raisonnable. Il lui fallait prendre l'air le plus rapidement possible. Elle a eut le temps d'entendre venant du fond de la salle un " Elle est bien pressée aujourd'hui !" que déjà elle franchissait le seuil de la salle. C'était la rentrée...  


  

samedi 5 novembre 2011

la rentrée (4) (suite)



     Elle a alors distribué les copies, selon l'ordre alphabétique comme elle les avait classé. Occasion pour elle de mettre un visage sur chaque nom. Sans annoncer les notes, quelques remarques seulement, pour l'un ou pour l'autre.

     Elle n'avait pas rendu quatre devoirs qu'une voix a désiré qu'elle précise chaque fois la note obtenue, souhait immédiatement soutenu par l'ensemble du groupe. Elle avait tout bonnement oublié l'esprit de compétition qui anime fondamentalement les classes préparatoires. Elle a alors demandé à ceux qui disposait déjà de la leur de l'énoncer puis elle a poursuivi la distribution, allant d'une table à l'autre, les mains se levant l'une après l'autre, en mesure...

     La note de Brion, un seize - elle aurait pu aussi bien mettre un dix-huit -  fut accueillie par un murmure d'admiration et, crut-elle discerner, de satisfaction générale. Il était donc connu et sa réputation n'était plus à faire. Brion tendit la main, la regarda à peine (elle n'eut pas même le temps d'esquisser un sourire), remercia tout simplement et replongea dans ses pensées. Elle a tout juste noté au passage son visage impassible, pas même éclairé d'une lueur de fierté dans les yeux... Elle en a été un peu déçue mais lorsqu'elle repensa au geste banal avec lequel il avait saisi sa copie, elle se consola en pensant qu'elle n'avait rien à attendre de chacun, qu'elle ne faisait que son travail et que toute démonstration particulière vis-à-vis d'un élève serait inopportune et ne pouvait que flatter son propre ego. Elle n'avait en aucun cas à quêter une quelconque reconnaissance de l'un ou l'autre d'entre eux. Conserver une neutralité, certes de bon aloi, mais rester libre. Tout autre manifestation aurait été hors de ses fonctions et de ses compétences.

     Elle ne s'est pas attardé. Elle est passée rapidement à la copie suivante sans marquer la moindre pause,suspension qui si elle avait duré trop longtemps aurait pu être notée comme un signe distinctif pour cet élève, attitude dans laquelle elle était de toujours  résolue à ne pas tomber. Elle abhorrait tout favoritisme. Elle serait plutôt tentée, le cas échéant, de le reprendre avec plus de sévérité que n'importe quel autre élève et c'était bien cette philosophie qui lui avait fait préférer mettre  un seize à sa copie plutôt que le dix-huit, jugé au final, trop enthousiaste.

     Quand elle a terminé sa distribution... 

jeudi 3 novembre 2011

la rentrée (4)



    Le lundi, à son premier cours de la semaine, elle a rendu les copies. Un sujet pour ce tout premier devoir relativement facile, vaste, mais que l'on pouvait envisager selon diverses manières. L'idée de la nature au temps des Lumières. Tout repose sur la pertinence des exemples choisis. Le sujet, c'est, bien évidemment, la nature. Il faut s'interroger sur ce que l'on entend par là. En définissant le mot puis le concept, il faut vous situer. La nature, pour nous, aujourd'hui, ce n'est pas la nature du XVIIIème siècle ! Les sensibilités ne sont pas les mêmes. S'interroger sur l'irruption de la nature dans les intérieurs, dans les salons, les lieux où l'on pense, et pas seulement à la Cour mais aussi dans la bourgeoisie. Les jardins, la peinture, les scènes champêtres... On va à la campagne; on joue à la fermière, au berger. On découvre le monde paysan, ces êtres que La Bruyère décrivait hier encore comme  " des animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil " comme l'un d'entre vous le rappelle opportunément . Cela suppose un certain nombre de connaissances. Documentez-vous en bibliothèque. Il vous faut acquérir une certaine culture. Soyez curieux. Lisez ! C'est surtout à ce niveau que cela pèche dans vos devoirs mis à part les problèmes de langue, de style, propres à chacun d'entre vous à quelques exceptions près. Vous lirez attentivement les annotations que j'ai porté sur vos copies. Nous consacrerons une heure mercredi à vos questions et à établir un plan détaillé d'un devoir type. Nous mettrons en commun les matériaux que chacun avez apportés et tenterons de les organiser.

     Elle a alors distribué les copies...

dimanche 16 octobre 2011

la rentrée (3)


     De qui était ce devoir ? Retournant à la page de garde, elle a lu le nom qu'elle avait tout d'abord négligé selon son habitude. Charles-Etienne Brion. Tout uniment calligraphié, sans fioritures. Un prénom à rallonge comme aurait dit sa mère. Dans l'immédiat, elle ne se souvenait pas du visage de cet élève. Elle a consulté son plan de classe pour se remémorer la place qu'il occupait. Là. Elle le voyait maintenant. Le jour de la rentrée, c'était lui qu'elle avait remarqué le premier, non seulement de par la place qu'il occupait, au centre de la salle, et qu'assis il dépassait d'une tête tous ses camarades  mais aussi par le regard singulier qu'il affichait, plein d'audace tempérée à la fois par une sorte de timidité, de réserve, que l'on aurait pu interpréter comme une absence, regardant sans voir, les yeux fixés sur vous mais perdus dans le vague... Elle avait aussitôt oublié son visage, détournant son regard, et ne lui avait pas donné immédiatement un nom au moment de l'appel. Tous, garçons et filles, la dévisageaient. Elle ne pouvait s'offrir un moment de distraction. C'était le premier contact qui compterait tant pour eux, le moment unique où ils allaient la juger, la cataloguer irrévocablement rien qu'à la manière dont elle se présenterait et avec qui ils allaient devoir vivre, établir peut-être quelques liens privilégiés, voire subir toute une année la présence. C'était cela qu'ils attendaient et ils la guettaient. Elle ne devait pas rater son entrée en se déconcentrant sur l'un d'entre eux...

     Toute cette réflexion s'était déroulée très vite qu'elle avait déjà gagné le bureau, posant sa serviette, sortant ses documents pour travailler immédiatement. Tous étaient prêts à recevoir ses premières mots, des paroles décisives, des paroles peut-être capitales pour l'entrée en matière et, elle, sûre de son succès en tant que professeure principale et sur qui reposait la réussite ou non de l'année à venir, où toute chose allait tourner autour d'elle, elle avait jeté un regard englobant son auditoire, avait souri et leur avait tout simplement souhaité la bienvenue et une bonne année...


     Elle n'avait jamais eu un texte de cette qualité entre les mains. Une écriture souple, d'une aisance quasi virtuose, d'expression originale, limpide, fluide. Les formules choisies, pesées, semble-t-il, justes, et les phrases si simplement construites... Et plus elle réfléchissait, et plus elle pensait que ce n'était pas possible ! Quel âge avait ce garçon ? Ses fiches consultées lui apprirent qu'il n'avait pas encore dix-sept ans. Face à la profession demandée des parents, il avait mentionné tout banalement, sans distinguer père et mère, profession médicale... Elle relut encore une fois la copie. Il fallait se rendre à l'évidence, elle tenait entre ses mains le travail d'un élève d'exception. Comment un tel devoir pourrait-il être le fruit du hasard ? Tant d'intelligence, de maturité, c'était confondant. Qui était ce gamin ? Son texte rédigé était comme une pierre jetée dans son jardin. Elle en était bouleversée comme désarçonnée.

     Allait-elle lire ce devoir à toute la classe, le donner en exemple ? Par principe, elle n'aimait pas pousser en avant, mettre sur le podium qui que ce fut, les bons comme les mauvais. A quoi servent les exemples ? Elles croyait aux seules vertus du travail et peu aux phénomènes de foire. Si tel était le cas, certains dans la classe ne pouvaient qu'être au courant et ceux-là n'apprécieraient sans doute pas la confrontation qu'ils avaient dû vivre sinon souffrir en maintes occasions. Un élève comme ça - il faudra qu'elle se renseigne et consulte son livret scolaire - ne venait pas de se révéler à l'instant. Une telle réflexion, si mûre, très au-dessus du niveau général, ne s'improvise pas.

     Distinguant sa copie, n'allait-elle pas, la mettant en avant, le flatter outre mesure surtout pour le premier devoir et n'encourager que sa facilité ? Peut-être, au pire, le blesser. Ces gens-là ne souffrent-ils pas du battage que l'on fait sur leur personne à moins, qu'au contraire ils n'attendent avec anxiété que les projecteurs de la renommée les effleurent encore une fois ? Elle-même, placée devant un tel phénomène, comment allait-elle trouver les arguments pour discuter avec lui, être à sa hauteur, ne pas le décevoir, lui apporter quelque chose de constructif ? En attendant, elle devait lire toutes les copies pour trouver quelques points à dire sur la sienne et comparer au canevas qu'elle élaborerait et  leur donnerait. Sur la forme, il n'y avait rien à reprendre. Restait le fond. Les idées. L'argumentation. Il y avait celle de Brion, sans failles et qui tenait debout mais elle, elle devait découvrir et avancer d'autres idées, peut-être plus pertinentes, plus originales et auxquelles il n'avait pas pensé ou qu'il avait mis de côté sinon négligé... Mais n'était-ce pas un autre devoir qu'elle risquait de lui proposer, un autre regard et qui ne serait qu'une pâle copie du sien ?

     Elle se souvînt du thé qu'elle avait oublié, de l'eau qu'elle avait mis à bouillir, en posant le devoir de Brion sur la table. Elle eut l'impression que l'heure en était passée depuis longtemps ce que le faible niveau de l'eau lui confirma en découvrant la bouilloire qui hoquetait lamentablement, le couvercle épuisé retombant lourdement de désespoir, comme pouffant, exténué... Ce soir-là, elle se contenta d'un verre de jus de fruit.

     Elle se remit aussitôt à ses corrections se promettant de revenir à la copie Brion quand elle aurait une vue d'ensemble du travail de chacun et que le feu en elle serait retombé. Elle y verrait un peu plus clair et trouverait quelque chose à écrire dans l'emplacement réservé pour cela, en haut de la première page de la copie Brion.

      Elle avait maintenant beaucoup de difficultés pour s'attacher à ce qu'elle lisait, dérivant à chaque idée nouvelle rencontrée et que Brion avait exploité avec bien plus de pertinence, buttant à chaque incorrections, revenant mentalement vers la copie phare, ne jaugeant ce qu'elle découvrait et qui était bien fade par rapport au travail qu'elle venait de distinguer. Et la question revenait : Qui était cet élève ? Une question qui ne la quittait plus. Elle ne se souvenait pas de l'avoir jamais croisé l'année dernière. Peut-être n'était-il pas élève au lycée et venait-il comme beaucoup de ses camarades des classes préparatoires d'un autre établissement ? Soudain l'idée lui vînt d'appeler sa copine Louise, la géographe et historienne, plus ancienne qu'elle au bahut et qui bien certainement la renseignera. C'était effectivement la bonne idée !

 - C'est toi qui en a hérité cette année ? Bravo ! s'écria Louise immédiatement à l'énoncé du nom.

     Elle lui apprit qu'elle le connaissait depuis la classe de première où elle l'avait eu comme élève.

 - Un vrai plaisir de travailler avec un garçon comme ça. Et, de plus, tu as vu cette frimousse ! Et Louise riait au téléphone, disant cela. Ce qui n'était pas sans l'agacer un peu mais cela détendait un peu l'atmosphère, lui permettait de respirer, elle qui avait presque pris l'affaire au tragique.

 - Tu ne savais pas que c'était le petit génie de la maison ? Tout le monde a voulu une année ou l'autre l'avoir dans sa classe. Il pourrait faire n'importe quoi, l'administration lui donnerait encore raison ! Il faut dire qu'il a rapporté gros. Pense donc, premier prix au Concours Général, deux années de suite.  

 - En quelles matières?  

 - En français et en philo. 

 - Ah! c'était lui, je ne me souvenais plus du nom du lauréat...

 - Tu rêves, ma chère... C'est une grosse tête... Je te plains. Moi, je ne l'ai eu qu'en première heureusement; il m'épuisait de monotonie. La perfection m'écoeure à la longue... Oui, ses parents sont médecins. Très en vue en ville. Le père est chirurgien. C'est lui qui a opéré la femme du proviseur, l'an dernier. Alors, tu imagines...

     C'était plutôt inattendu. Elle n'avait encore jamais rencontré un tel phénomène dans ses précédentes classes ni au cours de ses propres études. Elle devrait vivre avec. S'adapter. Sans craindre la nouveauté qui s'offrait à elle. Ce n'était pas son genre de dramatiser, encore moins de paniquer. Juste une peu d'inquiétude qu'elle tempérait avec l'espoir d'une expérience insolite et qu'elle voulait déjà captivante. Il lui faudra trouver le moyen de dialoguer. Elle trouvera ! Jouer l'ouverture. Les bêtes à concours ne l'effrayaient pas. Elle-même ne l'avait-elle pas été ? Elle n'aimait pas trop, c'est tout. Le paraître l'emporte tant sur l'être. 

jeudi 6 octobre 2011

la rentrée (2)

 (...)

     Elle était appréciée de ses élèves et le savait, toujours à leur écoute, disponible, sensible aux problèmes de chacun, des meilleurs comme des moins bons. Elle s'était forgé une réputation de prof gentille, accessible, qui trouve une solution aux multiples petits ennuis et qui n'hésitait pas à intercéder auprès des autorités. Les élèves venaient d'ailleurs s'ouvrir spontanément à elle, lui confiaient leurs soucis et lui demandaient d'intervenir en leur faveur. Elle ne refusait jamais. Je vais voir ce que je peux pour toi. Tu ne sais dire non lui disait-on souvent et ceci devait être entendu comme une mise en garde à peine voilée sinon un reproche.

     Une nouvelle année débutait. Pour la seconde fois, elle allait travailler avec des grands, des jeunes qui la passionnaient, dont elle se sentait encore proche, mais qu'elle regardait vivre avec curiosité, agir, s'éveiller avec une attention sans égal comme si déjà un monde la séparait d'eux. Cela l'obligeait à un dur travail mais elle l'affrontait sans crainte et en assumait toutes les péripéties avec zèle et minutie. Elle préparait avec un soin de chartiste ses cours, passait de longues heures en bibliothèque, accumulant tant de documents et d'annotations qu'elle devait consacrer de longs moments, revenue chez elle, à démêler toute cette moisson afin d'y mettre un ordre rigoureux. Cette pratique l'amena à s'intéresser sans en avoir l'air à son sujet de thèse consacrée au XVIIIè siècle et qu'au gré des programmes elle finit par croiser en chemin.

     Elle s'est assise à ce qu'elle nommait un peu pompeusement son bureau, à savoir un large et solide plateau de bois placé sur deux tréteaux, disposé perpendiculairement au mur et sur lequel trônait une grosse lampe - le seul luxe qu'elle s'était accordé - ainsi qu'une reproduction presque grandeur nature de l'Arlequin de Picasso, punaisé sans façon sur le mur près de la fenêtre donnant sur le jardin.

     Elle a compté les copies. Il n'en manquait aucune.  Elle les a classé par ordre alphabétique, s'arrêtant quelques instants sur l'une ou l'autre, attirée par un détail de la présentation, la particularité d'une écriture avec laquelle elle devrait se familiariser, la singularité d'un nom ou d'un patronyme, les épelant et tentant mentalement de localiser ceux et celles qu'ils désignaient sur le plan de la classe qu'elle ne manquait pas de dresser avec le nom des élèves là où ils s'étaient assis le premier jour, les priant de n'en pas changer, selon la méthode qu'elle avait, sur les conseils d'une de ses collègues, adopté et qui lui permettait de savoir à qui l'on avait affaire et de mettre rapidement un nom sur chacun de ces visages qui avaient la particularité de changer chaque année.

     Elle a corrigé plusieurs devoirs; les annotant soigneusement selon ses habitudes, se levant parfois pour vérifier telle ou telle affirmation dans un ouvrage ou un dictionnaire. La première dissertation de l'année n'était généralement pas une réussite. Les élèves n'avaient pas encore eu le temps de trouver le rythme, d'atteindre le niveau de réflexion et les connaissances nécessaires ainsi que d'avoir jaugé ce qu'elle attendait d'eux. Le sujet donné était et devait servir de test. Si bien que sa tâche était un peu décevante par manque d'originalité et de variété des copies.

     Vers cinq heures, elle s'est offert une petite pause, s'est levée de sa table. Elle est allée préparer de l'eau pour le thé, tradition  héritée de sa mère et qu'elle observait le plus régulièrement possible chaque après-midi. En attendant que l'eau chauffe et d'y jeter la poudre, elle est revenue dans la pièce, s'est emparée de la copie suivante, sans retourner à sa table, histoire d'en prendre un premier aperçu et de ne pas perdre le cours de ses réflexions. Elle s'est approchée de la fenêtre, distraitement, attirée peut-être par le reste de lumière d'une fin de journée pluvieuse pour en faire une lecture rapide. Elle allumera la lampe quand elle aura pris son thé préférant faire durer encore un peu la pénombre pour préserver la quiétude de l'appartement.

     Dès la première phrase, elle a été surprise par l'angle d'attaque. Elle l'a relue, accrochée, saisie. Comme pénétrant dans un autre monde, différent de ce qu'elle avait laborieusement déchiffré jusqu'ici. Elle n'avait encore - ni aujourd'hui ni l'an dernier - non, elle n'avait encore jamais eu une copie semblable entre les mains. Elle se glissait dans le texte à moins que ce ne soit le texte qui la tire, l'entraîne. Elle lisait. Sans relever une faute, une mauvaise tournure, une ineptie, une inexactitude. Comme si tout esprit critique l'avait soudainement abandonné. Elle lisait, captivée, curieuse de la suite, ligne après ligne, guettant - espérant, peut-être - l'aspérité qui ferait s'écrouler l'édifice qui se construisait devant elle, pur, lumineux, craignant la chute. Elle était toute attention, entièrement absorbée par ce devoir, négligeant les soupirs, dans la cuisine, de la théière qui désespérément s'époumonait et risquait à tout moment de se décoiffer sous l'afflux de vapeur bouillante...

        

jeudi 15 septembre 2011

Ginkgo biloba

Le Ginkgo biloba a tout son temps devant lui.


Sans se faire de bile

il mise sur avril

pour déplier ses feuilles.


Il a tout le temps devant lui

ayant traversé contre vents et marées

les temps primaires

du Permien au Cambrien.


Qui veut aller loin

va piano dit le sage

et le Ginkgo biloba

a tout le temps devant lui.

jeudi 1 septembre 2011

La rentrée




     Elle venait de sortir de sa serviette son premier paquet de copies de l'année et l'avait étalé sur la table. Elle allait y consacrer l'après-midi. Et en poursuivre la correction pendant la soirée si elle n'était dérangée ou si elle en avait l'envie. Elle n'avait pas d'autre projet, ni d'  aller au cinéma, les programmes de la semaine ne lui avaient rien dit, ni de flâner dans les rues ou dans les magasins. On annonçait de la pluie pour le week-end. Et  d'ailleurs, la pluie était déjà là, mouillant les vitres. Il pleuvait décidément ici autant qu'à Paris sans compter les jours de brouillard. En jetant un coup d'oeil sur le jardin, en contre-bas, elle découvrit la cime brillante de l'ailante envahissante, un peu de lumière surgie entre deux nuages et qui se réfléchissait sur les larges feuilles mouillées, les rendant luisantes et métalliques. Mais cette grisaille ne la contrariait pas. Elle se sentait bien. Heureuse, pensa-t-elle, en laissant retomber le rideau et se dirigeant vers sa table. Heureuse de retrouver des devoirs et, à travers eux, de découvrir ses nouveaux élèves. Heureuse aussi d'être chez elle, d'avoir un appartement qu'elle jugeait confortable, un petit chez soi qu'avec sa mère, venue à la rescousse, elles avaient toutes deux déniché et agencé dès son arrivée ici, en plein centre ville, un quartier devenu piétonnier et tranquille, à deux pas du lycée. Heureuse, enfin, d'exercer son métier d'enseignante, quatre années déjà... Contrairement à ce qu'elle entendait raconter autour d'elle et qui s'étalait comme à plaisir dans les journaux, il ne lui pesait pas, bien au contraire. Elle conservait intact l'enthousiasme de sa première année, l'année des découvertes, quand elle fut nommée dans un collège d'une ville qu'elle ne connaissait pas, à l'autre bout du pays. Elle n'avait, au sortir du concours, exprimé aucun choix, sollicité aucune faveur malgré les offres discrètes qu'on lui avait fait sinon avoir déclaré être disponible pour toute destination. Elle s'y était immédiatement trouvé à l'aise. Elle avait sans aucun doute eu de la chance: pas de problèmes de discipline, malgré sa jeunesse et son inexpérience. D'instinct, peut-être, et sans trop se poser de questions, elle avait trouvé la bonne manière. Tout métier ne devient difficile que si l'on y réfléchit trop, que l'on hésite dans ses choix. Elle abordait ses élèves avec le sourire, leur prêtant une oreille attentive. Elle savait où diriger ses pas et portait en elle une telle ardeur, une telle fraîcheur, une gaieté aussi qui faisait plaisir à voir et qui charmait ses élèves. Elle y ajoutait une telle passion que toute son existence sinon son être lui-même semblait se ramasser, se concentrer dans l'exercice exclusif de ce qu'il fallait bien appeler un sacerdoce qu'elle découvrait à mesure, adaptait et amplifiait et auquel elle était depuis toujours déterminée à se consacrer. Ce qu'elle était bien prête de considérer comme une vocation lui avait fait refuser une bourse qu'un de ses professeurs de Faculté lui avait proposé après sa brillante année  d'agrégation pour commencer une Thèse. Celui-ci n'avait réussi cependant après plusieurs rencontres infructueuses qu'à lui faire accepter un sujet auquel elle n'avait depuis consacré que quelques molles après-midi  qu'elle s'était accordées dans la pourtant riche bibliothèque de la ville où elle venait d'arriver. Lorsque l'année passée, elle reçu son affectation au Lycée Stendhal, elle prit cela pour une promotion et redoubla de ferveur d'autant que sa toute neuve agrégation lui ouvrait les prestigieuses classes préparatoires. Mais elle avait tenu lors de sa visite de courtoisie chez le Proviseur à vouloir conserver aussi la charge d'une classe moins élitiste ce qui fut accepté avec empressement tant le cas d'une semblable demande était rare. 
(...)

mardi 30 août 2011

Carnet 27

24.08.2011

Un, deux, trois...
les voici une dizaine de papillons virevoltant.
Le buddléia pavoise.

Sur la grappe qui ne frémit pas
ils se posent d'une délicatesse infinie
temps de repos après l'émoi de l'atterrissage
sans que les fleurs penchent

Et les trompes fébrilement déployées
au fond des corolles s'activent
puisent leur plaisir
frémissantes turgescentes
aspirant le suc

Les antennes hypnotiques
les yeux fixes
un battement d'ailes pour s'éventer

Et voici qu'ils repartent
déploiement silencieux de velours
reprenant leur envol
aussi imprévisible que leur arrivée
un décollage inattendu et insouciant
provende faite

Légers comme plumes au vent
météores silencieux
ballet sans chorégraphe
rien  que des valseurs crescendo
jouant dans l'ombre et la lumière
autour de l'arbre aux papillons
un soir d'été.

Les paons du jour.

jeudi 25 août 2011

Carnet 27

20.08.2011

Vents des quatre-saisons
vent de Hurlevent
vent des plaines et des steppes
sur les traces de Michel Strogoff

Vents de galerne et vents d'autan
vents d'ailleurs et ceux d'ici
vents de la rose
aux senteurs de foin

le girouette s'affole et se grise
et le coq ou la voile ou la plume
virent et grincent sur les toits

vents dans les grands arbres morts
se déchirant et partant en lambeaux
vents dans la voile
qui claque
et vogue la galère

le vent blessant
le vent ronflant

Je suis - dit le roseau - né un jour de grand vent.

Ah ! tous ces vents de par le monde
portant les voix et les chants d'espoir.

mardi 23 août 2011

Carnet 27

16.08.2011

Ils passent ils sévissent
prélevant dîme et prébendes
par les champs du ponant
par les champs du levant

les vents
les grands vents de l'Histoire

toujours insatisfaits
avides et cupides
assoiffés de la manne terrestre
asséchant la pierre et le limon

les vents
les grands vents dominants du monde

samedi 20 août 2011

Carnet 27

16.08.2011

Et sous les vents plient

menu fretin pas bien malin

herbes et paille confondues

hommes femmes et enfants

Sous les vents jamais ne se relèveront

fétus jeux du hasard
les dès jetés

les destins brisés de tout un chacun

mercredi 17 août 2011

Carnet 27

16.08.2011

Ils passent et sévissent
prélevant dîme et prébendes
par les champs du ponant
par les champs du levant

les vents

les grands vents de l'Histoire


toujours insatisfaits
avides et d'or et d'argent
cupides de la manne terrestre
les vents dominants du Monde


lundi 8 août 2011

Carnet 27

29.06.2011

Vivre sa vie telle une saison

Chaque jour sans rime ni raison

La main à la rame filant sa peine

Allant l'amble et le vent

Tissant le jour ce que la nuit défait

mercredi 3 août 2011

Carnet 27

15.07.2011

Venus de tous les horizons
   
     les nuages à grains

          toutes voiles dehors

               Immense et sombre armada de par le ciel


Lourds vaisseaux

     en lignes parallèles

          barrant le ciel

               le nez au vent

                    ventres à ventres


Sans tambour ni trompette

     en silence et sans fin

          paradent tout le jour.

samedi 30 juillet 2011

carnet 27

24.07.2011

Ce matin

quatre hirondelles

sur un fil

se sèchent

soleil levant

d'un frisson d'automne



mercredi 27 juillet 2011

Carnet 27

21.07.2011

Comme un frisson
se glissant par le corps

le corps courbé
des branches sous le vent

bravant la pluie
le visage fouetté

la main du bout des doigts
égoutte quelques larmes

au bord du front qui perlent
le doigt les effaçant

un parfum d'humus
au bout de l'allée

peut-être s'éveillant
d'un lourd sommeil

un minuscule escargot
transparent comme un ver

guilleret se rit de l'ondée
traçant son chemin

jeudi 21 juillet 2011

carnet 27

11.07.2011

La Loire s'enlise

du sable plein les oreilles

quand vient l'étiage





dimanche 17 juillet 2011

carnet 27

10.07.2011

Je regarde le ciel. Ses nuages.

Les très hauts les très fins les très froids
qui dessinent des plumes et de si jolis voilages

Et, là-bas, venu dont ne sait où 

Un tout petit nuage

qui monte et s'enfle et tente sa partie

mais s'évanouit sitôt que né

laissant le ciel en sa nudité d'aurore.

La vie d'un nuage aussi brève soit-elle

croyez-moi

n'est pas de tout repos.

Qu'il pleuve qu'il neige qu'il vente

Il va son chemin buissonnier parsemé d'épines. 

jeudi 14 juillet 2011

Carnet 27

30.06.2011

Vivre sa vie telle une saison

Chaque jour sans rime ni raison

La main à la rame filant sa peine

Allant l'amble et le vent

Tissant le jour ce que la nuit défait


lundi 11 juillet 2011

carnet 27

05.07.2011

Prendre de la hauteur.

Se détacher, ne serait-ce qu'un instant, des choses d'ici-bas et les contempler de loin.

De très haut.

C'est alors que le silence survient et qu'on le respire ...

Rien que le silence.

mardi 5 juillet 2011

Carnet 27

     Chantons pendant que nous avons encore un peu de voix
     Sur deux ou trois temps, dansons avant que la jambe percluse
     Rions avant que vienne le temps de pleurer

     Avant bien avant qu'il n'y ait plus de temps
     Chantons dansons rions
     Avant que ce ne soit plus de saison

jeudi 30 juin 2011

carnet 27

03.06.2011

Les tilleuls en fleurs

parfum pénétrant de miel

l'enfant ce soir dort

la fenêtre ouverte

samedi 18 juin 2011

Carnet 27

14.06.2011

19 heures - début de soirée

Un tour au paradis

Le ciel est couvert comme il l'a été la journée durant; ça et là, des éclats de soleil si bien qu'il fait doux, étrangement doux. Des fourmis ailées dans l'allée du jardin prennent leur envol. Une multitude de bestioles se manifestent dessous chaque herbe dérangée, nerveuses, arrogantes et perverses. La terre encore humide, tiède. Moiteur de l'air. On ne verra pas le soleil se coucher. Une couverture nuageuse bleuâtre, grisâtre et cotonneuse montée jusqu'au menton. Si l'on prête attentivement l'oreille, on entend les pousses des jeunes tiges grandir. Absence de vent. Respiration aisée. Envie de vivre comme dans un roman. Laisser le livre ouvert sur les genoux. La nuit sera douce ou ne sera pas.

mercredi 15 juin 2011

Carnet 27

13.06.2011

      Nous étions  descendus au jardin respirant la nuit tiède guettant la première étoile du soir.

     T'en souviens-tu  ?

     Et de ce grand frisson qui a saisi tout à coup les grands arbres du parc, les tordant, comme pris d'un tremblement plaintif, leurs branches se vrillant en dedans, les feuilles bruissant puissamment, qui nous fit nous rapprocher encore plus l'un de l'autre, nos corps emplis du même frémissement ?

     Et du silence tout aussi subit qui s'ensuivit ?

     Nos mains dans l'ombre se sont rencontrées et j'ai senti alors combien ton coeur s'était ému de cette saute d'humeur à la moiteur de ta paume dans la mienne.

    Nous sommes alors remontés, main dans la main, vers la maison éclairée comme l'on gagne un refuge.

lundi 13 juin 2011

carnet 27

08.06.2011

A la manière d'Augustin

Qu'est-ce donc que le chemin ?  Si personne ne me le demande, je le sais : je le vis et le dessine et le borne. Mais si quelqu'un me demande où je vais, je ne sais lui répondre...

Les oiseaux migrateurs ne font que passer.

Todorov, dans L'esprit des Lumières, note ceci :

" Se perdre, (c'est) le début de la découverte. "

mercredi 8 juin 2011

Carnet 27

05.06.2001

L'arbre en moi à jamais accompli
encore inadvenu
toujours à peindre
s'imposant se cachant
présent-absent
être et non-être
fuyant en balance
au rythme des saisons
déraison de l'homme

lundi 6 juin 2011

carnet 27

02.06.2011

Ample respiration dans le soir
balancements incessants
salutations profondes
palpitations des feuilles

Les grands peupliers noirs
tremblent de tout leur corps

Le vent chante dans les arbres
un frisson sur la peau

samedi 4 juin 2011

carnet 27

04.06.2011

Le ciel cousu à grands points

L'éclair file
se plie se déplie
s'enroule se noue
s'étrangle
hectomètre décamètre
et s'évanouit

La pluie attendue se défile
passe au large se faufile
un rideau de paroles
et ne bruit

Le ciel se rembobine
et ronronne
Je m'endors.

jeudi 2 juin 2011

Carnet 27

01.06.2011

Seule la musique est mesure du temps
tout le reste n'étant que démesure
à la mesure de l'homme.

Aller son pas comme aller son temps
trouver son chemin
dans les "broussailles du temps"
une date tel un amer
un port où jeter l'ancre.

Flux et reflux
les mots nous poussent vers le large
balancement des marées de l'âme.

mardi 31 mai 2011

Carnet 27

31.05.2011

Orage


Un éclair jaillit
un frisson dans les arbres
la porte claque

(déposé, ce jour, chez Maria-d, Les amis essentiels)

lundi 30 mai 2011

carnet 27

30.05.2011

La girouette prend le vent
le hume et s'enivre
à tant tourner (*)

(*)mots déposés ce jour, chez Maria, les Amis essentiels)

La girouette déboussolée
une porte battante
la maison désertée

dimanche 22 mai 2011

Carnet 27

18.04.2011

    Observant le monde à travers un objectif
    
    le trouvant, le montrant

    est-ce pour autant découvrir objectivement le réel ?

Les images comme des mots non-dits, mots morts-nés, posés au bord du livre.

jeudi 19 mai 2011

un nuage passe


I9.05.2011

     S'ils ont la blancheur immaculée des icebergs en dérive, ils n'en n'ont ni la certitude ni le tranchant. Hésitants, bourgeonnants, se gonflant de toute part, ces îles flottantes sont sans adresse ni repère. Ils passent, font leur cinéma, menacent, lançant quelques imprécations puis s'en vont, penauds qu'on ne les ait pris au sérieux. Il ne pleuvra pas ce soir.


mercredi 18 mai 2011

Carnet 27

11.05.2011

     Voici venir l'heure où s'étirent les ombres
et me vient à l'esprit les suivant du regard
qu'ainsi toute chose à son heure s'évanouit
retournant à la nuit
comme un soir nous le ferons à notre tour.

     Douce et tendre fuite de la lumière
qui donne à tout arbre comme à toute chose
l'immensité de son emprise.

vendredi 13 mai 2011

Carnet 27

28.04.2011

     Le silence qui maintenant glisse sur tes lèvres et les plissent
     N'est-il pas plus beau que tes mots d'aujourd'hui ?

     Tes yeux qui se penchent sur l'infini
ton regard s'attardant sur un lointain à jamais inconnu de moi
     N'est-il pas plus beau que celui qui se posait ce matin sur mon visage ?

     Tes mains sur le clavier du piano qui vont et viennent cherchant déjà l'arpège suivant
     Ne sont-elles pas plus belles que celles qui un instant effleuraient les miennes ?

     L'instant, le bel instant où tu t'oublies dans l'ombre et qui déjà n'est plus.

jeudi 5 mai 2011

lecture

Le labyrinthe du monde / Archives du Nord


     Plus je vieillis moi-même, plus je constate que l'enfance et la vieillesse, non seulement se rejoignent, mais encore sont les deux états les plus profonds qu'il nous soit donné de vivre. L'essence d'un être s'y révèle, avant ou après les efforts, les aspirations, les ambitions de la vie. Le visage lisse de Michel enfant et le visage buriné du vieux Michel se ressemblent, ce qui n'était pas toujours le cas pour les visages intermédiaires de la jeunesse et de l'âge mûr. Les yeux de l'enfant et ceux du vieillard regardent avec la tranquille candeur de qui n'est pas encore entré dans le bal masqué ou en est déjà sorti. Et tout l'intervalle semble un tumulte vain, une agitation à vide, un chaos inutile par lequel on se demande pourquoi on a dû passer.

Marguerite Yourcenar
Editions Gallimard, 1977

   Une philosophie tranquille à l'ombre d'un arbre, un soir d'automne... A déguster.



samedi 30 avril 2011

Carnet 26

05.04.2008

Sur les quais
un regard de feu
platanes et façades
les soirs incandescents.

Le plus dur pour eux
les platanes
c'est la première feuille qui tombe.

Alors pour faire la fête
de roux elles se parent
et toutes en même temps s'envolent
et le vent trublion
les fait tourner en rond.

Le plus dur pour eux
les platanes
c'est la dernière feuille qui pend.

mercredi 27 avril 2011

Carnet 27

18.04.2011

Avec des airs de soie froissée
les pivoines se fanent au soleil.

Les images comme des mots non-dits
avortés au bord des livres.

Rivages interdits
un air ancien sans les paroles
les lèvres amuéties.

lundi 25 avril 2011

Carnet 27

05.04.2011

C'est le vent d'où ?
C'est le vent d'Ouest
les hirondelles de retour.

Au soleil de midi
le jardin respire
une vibration de l'air.

Les mots vous poussent vers le large.

vendredi 22 avril 2011

Carnet 26

07.05.2008

Les arbres et le vent en dialogue
le singulier et le pluriel
s'enflent les paroles
un instant se reposent
en souplesse les branches plient
les feuilles sous le poids des mots
en frémissements s'égouttent
Les arbres et le vent en palabres

lundi 18 avril 2011

le merle

Il semble courir
sautillant menu
le merle pressé
traversant la route devant moi.


mercredi 13 avril 2011

Carnet 24

Prova d'orchestra

     Une bouche. Le dessin parfait des lèvres. Généreuses. Gourmandes. Comme tout joueur de bois ou d'instruments à vent se préparant à jouer, il porte l'embouchure à ses lèvres, la mouille d'un peu de salive, l'éloigne de lui vivement, l'observe un instant, la palpe d'un doigt, en retire une improbable poussière, la reprend, arrondissant la bouche, la gonflant, la refermant sur le métal brillant - contact, osmose, appropriation - aspire le bec, l'engloutit, l'enferme, plusieurs fois, va-et-vient délicat des lèvres, caresse de la langue. Adéquation parfaite. Mécanique céleste. Délicatesse extrême. Succion. Emerveillement. Eclatement. Explosion. Feu d'artifice. Jouissance préméditée et attendue.


dimanche 10 avril 2011

Carnet 24

27.05.2000

     "Je suis l'esprit qui toujours nie". En douter, à l'évidence. Logiquement.

     " Si les hommes étaient capables de diriger leur vie de manière avisée, en connaissance de cause, ou simplement s'ils avaient toujours de la chance, ils ne seraient jamais captifs de la moindre superstition. Mais, comme ils se trouvent très souvent réduits à des situations tellement critiques qu'ils ne savent plus à quoi s'en remettre, et comme d'autre part, à force de désirer sans cesse avoir plus de choses, ils flottent misérablement entre la peur et l'espérance, ils finissent par être prêts à croire à peu près n'importe quoi. " (Spinoza)

samedi 9 avril 2011

Carnet 26

29.O8.2010

Je les voyais
en cette fin d'après-midi
couché dans l'herbe

les nuages

littéralement disparaître
se dissoudre
se  disqualifiant
comme battant en retraite
sans avoir combattu
jetant l'éponge
déclarant forfait

pour un peu plus loin et presque au même instant
se reformer
se concrétiser
bourgeonner à nouveau
et reprendre de l'importance.

Respiration inspiration profondes.


samedi 2 avril 2011

Carnet 26

17 août 2009


Je suis passé par-là
La barrière franchie
La fleur ai cueilli
Au chardon me suis griffé
Mais que la mer était belle
Et ses yeux si bleus
Et si tendres ses lèvres!


jeudi 31 mars 2011

Carnet 26

26 septembre 2009


Un jardin des délices
en approche caressante
effleurement éloignement
objet de mes délires
au fond de la barque
une écaille frémissante


dimanche 27 mars 2011

Carnet 26

30 août 2009


La vie
au vent
se défeuille et s'envole 
ainsi les rêves
au vent
vers d'autres rivages
se perdent


samedi 26 mars 2011

Carnet 26

25 février 2009

Sur la souche où je butte
Et trébuche
L’arbre me fait signe et m’interpelle
Lui qui avait fait souche
Plein de petits autour.

Qu’as-tu fait de mon ombre, me dit-il,
Pour qu’ils grandissent autour ?

jeudi 24 mars 2011

Carnet 26

29 août 2009

Faut-il peut-on sortir du cercle infernal
qui fait, selon Michel del Castillo que  « nous ne sommes (…) rien que nos apprentissages et nos souvenirs, rien d’autre que le récit que nous nous faisons de nos actions et de nos pensées ? »

Nous parlons sans savoir
À tort hors de saison
Le mot tel une balle lancée
Ricoche
Et nous revient changé.

Mémoire déchirée
À tout vent semée
Un miroir brisé
Les morceaux recollés
Image recomposée
Mes moires en grimoire.