lundi 28 novembre 2011

carnet 27

21.11.2011

L'arbre

Voici venir le temps quand l'arbre se dessine ...

Hier encore
quelques feuilles dolentes
sans plus de sève ni de besoin
dans le vent mollement tournoyant
cachaient sa charpente

Et ce matin nu entièrement nu
il se dresse ses nouvelles ramures enfin comptant
et dans le ciel s'élance et pose
son corps offert aux rayons d'un soleil de novembre

Et tout l'hiver il s'offrira ainsi tel le discobole
noueux nerveux tendu
tous muscles saillants sous sa peau d'ébène
heureux et fier de sa stature

Voici venu le temps quand l'arbre se dépouille




jeudi 17 novembre 2011

Carnet 27

14.11.2011

     Elle rentre le soir par les routes et les chemins sans feu ni flamme été comme hiver sa journée terminée de fil en aiguille de fermes en fermes une botte de foin ou un ballot de paille tant bien que mal arrimés à l'arrière une betterave en saison dans le cageot devant pour les lapins une bouteille de lait encore tiède dans son sac trois oeufs frais dans un papier journal son repas du soir au guidon et je la vois en roue libre arrivant comme si c'était hier sautant comme à vingt ans de sa machine cette ombre qui se glisse silencieusement ce soir dans mon propos d'aujourd'hui... M, la couturière.

samedi 12 novembre 2011

carnet 27

07.11.2011


     Pois. Purée de poix. C'est pas de la pluie. C'est de  la poisse qui tombe. Un friselis sans un parfum de rossolis. C'est collant. C'est puant. Ça colle et il faut vivre tout le jour là-dedans. Rester coi. Quoi ? Rester couard. Rester sourd... Facile, il n'y a pas de boucan. Ça tombe bien. Pas un souffle. Pas un nuage en déménage. Pas un pet de chien. Pas une nonne. Pas un passant. Personne dans la rue. Pas de pétarade. Pas de grenade qui sursaute. La marmelade. La panade. Le silence et l'ennui... La nuit tombera de toute manière. Sans un faux-pli. Sans prévenir. Dans le droit fil de la journée. Parce que tout le jour c'était déjà le soir. On ferme. On éteint les lumières. On baisse le rideau. On se tire. Un soupir.

" Nous ne sommes plus un siècle de paradis ", écrivait Henri Michaux, il y a quelque temps... 

mardi 8 novembre 2011

la rentrée (5)



     Quand elle a terminé sa distribution, elle a constaté d'un rapide coup d'oeil que Brion, contrairement à tous ses camarades, avait fait disparaître immédiatement sa copie. Il avait ouvert ses notes devant lui et, indifférent à l'agitation autour de lui, semblait absorbé dans leur lecture tandis que chacun discutait, comparait, argumentait à voix basse ou qui se voulait être basse, avec son voisin ou sa voisine... Des questions ont commencé à fuser. Nous verront tout cela mercredi. Je préfère que vous réfléchissiez et repensiez au sujet calmement entre temps. Nous ferons la synthèse de vos remarques et je vous donnerais le canevas de ce qu'il aurait fallu dégager. Nous allons ce matin poursuivre notre étude du siècle des Lumières. Je voudrais vous présenter l'Emile, livre de Jean-Jacques Rousseau sur l'éducation, en introduction au prochain thème de votre travail : l'enfant au XVIIIè siècle...

     Le calme est revenu. De temps à autre, son regard croise celui de Brion. Un visage lisse qui ne laisse transparaître aucune émotion, aucun sentiment, aucune expression particulière, seule, peut-être, une attention polie. Quand il lève la tête de ses notes, elle découvre comme une sorte d'aura qui émane de sa personne. Peut-être dûe, pense-t-elle, à la fraîcheur de son teint, la blondeur de ses cheveux. Elle ne savait au juste et n'avait pas loisir de creuser la question. Elle  a été frappée par ses sourcils qu'il avait rares et presque décolorés - peut-être par le soleil de l'été - ce qui accentuait la douceur des traits de son visage. Elle a ressenti soudain en elle comme la naissance d'un malaise... Elle a saisi ses notes, elle s'est levée du bureau et, tout en poursuivant son exposé, elle a traversé la salle, passé entre les rangées de tables comme si elle avait voulu porter au plus près de chacun son message, redoublant de persuasion, espérant ainsi se dégager de l'emprise du visage de Brion qui ne cessait de l'interroger, de s'en distraire, de s'en éloigner, pour l'oublier un peu. Elle était maintenant tout au fond de la salle. Elle avait devant elle tous ces jeunes de dos, penchés sur leur table, appliqués ou peu s'en fallait à saisir son discours dans son intégralité. Et parmi toutes ces têtes dociles et attentives, il y en avait une sur laquelle son regard s'est arrêté, malgré elle, une nuque blonde et hâlée...

     A une question de l'un d'eux, tous se sont arrêtés d'écrire et se sont tournés vers elle pour quêter la réponse. Cela a produit une sorte de remue-ménage qui l'a surprise et est venu la frapper de plein fouet telle une vague que l'on n'a pas vu venir. Elle a presque eut honte d'en être la cause et s'est sentie subitement ridicule d'être là, plantée au fond de la classe, ne leur faisant plus face. Une erreur pédagogique évidente. Qu'allaient-ils penser de son attitude ? Elle a regagné le bureau à petits pas et a fait courageusement face à son auditoire pour commenter et répondre.

     La matinée était belle et douce. Une journée d'un été qui se prolonge et qui pouvait faire rêver aux vacances. On avait ouvert une fenêtre et on entendait, venant des classes voisines, d'autres voix, plus ou moins persuavives, plus ou moins graves ou aigües, plus ou moins fortes, l'une d'elle qui se transformait soudain en un éclat qui résonnait un court instant à travers l'espace vide de la cour... Elle a regardé sa montre discrètement comme prise d'une sorte de lassitude. Elle aurait aimé à ce moment entendre la sonnerie marquant la fin du cours. Elle avait encore dix minutes pour conclure.

     Elle a jeté un bref regard sur un Brion indifférent - c'est le mot qui lui est venu à l'esprit - et qui semblait rêvasser, regardant en direction de la fenêtre ouverte alors que tous les autres s'appliquaient à ne manquer un seul mot de ce qu'elle racontait. A quoi pensait-il ? Suivait-il l'exposé. Elle s'est demandé à la fin si son discours l'intéressait. Et voici qu'il la dévisage à son tour. Elle a détourné la tête mais est revenue aussitôt sur lui.  Il n'a pas bronché. Ce qui fait qu'elle a détourné encore une fois son propre regard. Le manège se poursuivit et elle constate chaque fois qu'il ne change pas de position. Elle a fini par lui faire remarquer avec étonnement qu'il ne prenait pas de notes. Il n'a rien répondu. Il a continué un instant de soutenir son regard... Une tête à claques s'est-elle dit retrouvant à l'occasion une expression favorite de sa mère. Peut-être se rend-t-il compte de l'impertinence de son insistance, car après un bref moment, il détourne les yeux et se penche sur sa feuille et se met à griffonner quelque chose. Il me juge  a-t-elle immédiatement compris. Aurais-je peur du jugement de mes élèves ? En quoi cela avait-il de l'importance ? Tous les élèves jugent leurs profs. Et cela ne l'avait jamais atteinte quand on lui avait rapporté ou entendu elle-même  ces racontars. Pourquoi aujourd'hui prêterait-elle de l'importance à ces discours ? Peut-être lui en voulait-il de n'avoir fait aucun commentaire en lui donnant sa copie ? Ne l'avait-elle pas ce faisant blessé ? Ce garçon ne pouvait qu'être conscient de sa valeur. Bien que ne semblant ni fier et arrogant, on lui avait tant de fois soufflé de compliments dans les oreilles... Peut-être portait-il sa fierté à l'intérieur, bien à l'abri, bien au chaud. Ce sont ces fiertés-là qui sont les plus vulnérables. L'amour-propre est fragile. Au creux de l'intime. On peut toujours se dire qu'il est conscient de sa supériorité sans en rien faire paraître. Mais elle est là et a besoin qu'on les autres la cultive. La sonnerie la fait presque sursauter et interrompre sa double réflexion. Elle a terminé sa phrase abruptement,l'infléchissant aussitôt d'un ton conclusif. Elle a ramassé ses documents aussi vite que possible et raisonnable. Il lui fallait prendre l'air le plus rapidement possible. Elle a eut le temps d'entendre venant du fond de la salle un " Elle est bien pressée aujourd'hui !" que déjà elle franchissait le seuil de la salle. C'était la rentrée...  


  

samedi 5 novembre 2011

la rentrée (4) (suite)



     Elle a alors distribué les copies, selon l'ordre alphabétique comme elle les avait classé. Occasion pour elle de mettre un visage sur chaque nom. Sans annoncer les notes, quelques remarques seulement, pour l'un ou pour l'autre.

     Elle n'avait pas rendu quatre devoirs qu'une voix a désiré qu'elle précise chaque fois la note obtenue, souhait immédiatement soutenu par l'ensemble du groupe. Elle avait tout bonnement oublié l'esprit de compétition qui anime fondamentalement les classes préparatoires. Elle a alors demandé à ceux qui disposait déjà de la leur de l'énoncer puis elle a poursuivi la distribution, allant d'une table à l'autre, les mains se levant l'une après l'autre, en mesure...

     La note de Brion, un seize - elle aurait pu aussi bien mettre un dix-huit -  fut accueillie par un murmure d'admiration et, crut-elle discerner, de satisfaction générale. Il était donc connu et sa réputation n'était plus à faire. Brion tendit la main, la regarda à peine (elle n'eut pas même le temps d'esquisser un sourire), remercia tout simplement et replongea dans ses pensées. Elle a tout juste noté au passage son visage impassible, pas même éclairé d'une lueur de fierté dans les yeux... Elle en a été un peu déçue mais lorsqu'elle repensa au geste banal avec lequel il avait saisi sa copie, elle se consola en pensant qu'elle n'avait rien à attendre de chacun, qu'elle ne faisait que son travail et que toute démonstration particulière vis-à-vis d'un élève serait inopportune et ne pouvait que flatter son propre ego. Elle n'avait en aucun cas à quêter une quelconque reconnaissance de l'un ou l'autre d'entre eux. Conserver une neutralité, certes de bon aloi, mais rester libre. Tout autre manifestation aurait été hors de ses fonctions et de ses compétences.

     Elle ne s'est pas attardé. Elle est passée rapidement à la copie suivante sans marquer la moindre pause,suspension qui si elle avait duré trop longtemps aurait pu être notée comme un signe distinctif pour cet élève, attitude dans laquelle elle était de toujours  résolue à ne pas tomber. Elle abhorrait tout favoritisme. Elle serait plutôt tentée, le cas échéant, de le reprendre avec plus de sévérité que n'importe quel autre élève et c'était bien cette philosophie qui lui avait fait préférer mettre  un seize à sa copie plutôt que le dix-huit, jugé au final, trop enthousiaste.

     Quand elle a terminé sa distribution... 

jeudi 3 novembre 2011

la rentrée (4)



    Le lundi, à son premier cours de la semaine, elle a rendu les copies. Un sujet pour ce tout premier devoir relativement facile, vaste, mais que l'on pouvait envisager selon diverses manières. L'idée de la nature au temps des Lumières. Tout repose sur la pertinence des exemples choisis. Le sujet, c'est, bien évidemment, la nature. Il faut s'interroger sur ce que l'on entend par là. En définissant le mot puis le concept, il faut vous situer. La nature, pour nous, aujourd'hui, ce n'est pas la nature du XVIIIème siècle ! Les sensibilités ne sont pas les mêmes. S'interroger sur l'irruption de la nature dans les intérieurs, dans les salons, les lieux où l'on pense, et pas seulement à la Cour mais aussi dans la bourgeoisie. Les jardins, la peinture, les scènes champêtres... On va à la campagne; on joue à la fermière, au berger. On découvre le monde paysan, ces êtres que La Bruyère décrivait hier encore comme  " des animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil " comme l'un d'entre vous le rappelle opportunément . Cela suppose un certain nombre de connaissances. Documentez-vous en bibliothèque. Il vous faut acquérir une certaine culture. Soyez curieux. Lisez ! C'est surtout à ce niveau que cela pèche dans vos devoirs mis à part les problèmes de langue, de style, propres à chacun d'entre vous à quelques exceptions près. Vous lirez attentivement les annotations que j'ai porté sur vos copies. Nous consacrerons une heure mercredi à vos questions et à établir un plan détaillé d'un devoir type. Nous mettrons en commun les matériaux que chacun avez apportés et tenterons de les organiser.

     Elle a alors distribué les copies...