mercredi 24 février 2016

G.



   L'oreille collée à l'écorce, il écoute l'arbre. Il n'a encore  jamais osé écouter un arbre mort. Dans sa tête, les arbres sont rangés en catégories très distinctes. Ceux qu'il aime et ceux qu'il n'aime pas (sans raison). Ceux auxquels il est trop facile de grimper. Ceux auxquels il a un peu peur de grimper. Ceux d'où l'on peut voir, tout en haut, et ceux d'où l'on ne voit rien. Il y a aussi des catégories plus compliquées. Les arbres sont vivants mais pas comme les animaux. Quelle différence? Un, l'arbre est plus accessible. Deux, l'arbre est plus mystérieux. Trois, l'arbre est fixe. Quatre, l'arbre peut le cacher. S'il entaille l'écorce d'un arbre, il ne pense pas que l'arbre éprouve de la douleur. Quand une grosse branche est élaguée, il n'y a ni le son ni l'odeur de la douleur. Néanmoins, quand il est collé à l'écorce d'un arbre, il sent que celui-ci est vivant contre sa peau, bien plus que s'il se fiait à son raisonnement logique. Quand il touche un animal, la volonté de ce dernier intervient. Il y a un arbre dans lequel il monte le plus haut possible, et qu'il embrasse. Toujours au même endroit.

John Berger, G., Éditions de l'Olivier, 2002, p57-58.

jeudi 18 février 2016

Leçon de lecture


« J'aimais beaucoup lire. Ou faire semblant de lire. À la différence du théâtre ou du cinéma qui vous imposent leur rythme, il y a un style de lecture très proche de la rêverie. N'allez pas croire qu'il s'agisse de paresse. C'est à peu près l'opposé. Au lieu de lire bêtement (mécaniquement *), à la suite, le livre qui vous est proposé, vous vous arrêtez, au contraire, à chaque ligne pour ajouter au texte quelque chose de votre cru. Pour enrichir  l'extérieur d'un peu d'apport intérieur. Pour y mêler vos sentiments et votre propre expérience. Pour vous approprier l'œuvre étrangère qui vous est proposée. »

Jean D'Ormesson, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, Éditions Gallimard, 2016, p 121-122.


* ajout personnel de lecture.



mercredi 3 février 2016

Mémoire vive

« C'est une chose étrange à la fin que le monde
« Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
« Ces moments de bonheur ces matins d'incendie
« La nuit immense et noire aux déchirures blondes

« Il y aura toujours un couple frémissant
« Pour qui ce matin-là sera l'aube première
« Il y aura toujours l'eau le vent la lumière
« Rien ne passe après tout si ce n'est le passant

« Je dirai malgré tout que cette fut telle
« Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
« N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
« Je dirai malgré tout que cette vie fut belle »

C'est ce dernier vers de Louis Aragon que Monsieur d'O reprend pour en faire le titre de son -comment dire ? - livre de souvenirs,  autofiction biographique, histoire d'une vie, procès, aventures, histoire littéraire, romance ..? Un monde, une époque, entre hauts et bas.

Jean D'Ormesson, Je dirai malgré tout que la vie fut belle, 
Éditions Gallimard, 2016.