jeudi 19 novembre 2015

L' oasis



   À un moment, Ganthier avait pris un embranchement à leur droite, une route étroite qui avait soudain plongé en contrebas s'était transformée en piste à ornières et gros cailloux, ils étaient entrés dans un défilé rocheux, et soudain ç'avait été une fraîcheur  de verdure et d'ombre, de grands palmiers qui faisaient  monter le paysage, des bananiers, beaucoup d'herbe, un réseau  de rigoles, parfois un bassin avec des éclairs blancs à la surface de l'eau et sur les ailes des libellules, il y avait aussi des grenadiers  et des plantes basses, tomates, melons, du blé pauvre, quelques hommes au travail sur les rigoles, un homme descendant lentement d'un palmier après avoir coupé un régime de dattes d'un marron brillant et sans salissure, ils avaient salué l'homme, de loin : « Ne nous approchons pas, avait dit Ganthier, il se sentirait obligé de nous offrir ses dattes. » Neil s'était assis au bord d'un bassin, avait sorti son carnet, une boîte de couleurs, un pinceau ... Il avait regretté que Kathryn ne fût pas avec lui, c'était  dans des moments pareils  qu'il se sentait amoureux d'elle.
   Au bout d'un moment, il avait rejoint Ganthier en disant : « C'est rare une telle chose ! » Et Ganthier : « L'aquarelliste est un voleur ! » À l'écart, il y avait des maisons basses couleur de terre, ils avaient salué un autre homme qui travaillait en plein soleil, il pétrissait un mélange humide d'argile et de paille, et il en remplissait de petits cadres horizontaux en bois. « Des briques de terre séchée, avait dit Ganthier, c'est fragile, friable, il faut tout le temps les remplacer, ici on n'arrête jamais de faire et de refaire, comme il y a vingt siècles, il a appris le métier de son père, qui lui-même... on dit que ces gens sont paresseux mais ils travaillent tout le temps, s'ils arrêtent, ils crèvent, venez! » Ils étaient arrivés devant un bassin circulaire, en partie taillé dans la roche, la paroi du fond était surmontée d'une mosaïque, une scène de banquet, mais dont la partie centrale avait disparu. « Une source chaude, avait dit Ganthier, les Romains en avaient fait des thermes, et peut-être autre chose, à gauche il y a un phallus gravé sur un muret, c'est ce qui attire les touristes... » En sortant de l'oasis, ils avaient croisé un groupe d'Anglais qui s'extasiaient  sur le visage et les yeux des enfants qu'ils essayaient  de prendre en photo. Une gamine un peu plus âgée avait forcé les autres à rentrer dans une de ces maisons et s'était retournée au dernier moment en crachant en direction des touristes.

Hédi Kaddour, Les Prépondérants, roman, Éditions Gallimard 2015, chapitre 36 : Un vrai rusé, pages 349-350.



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