mercredi 24 février 2016

G.



   L'oreille collée à l'écorce, il écoute l'arbre. Il n'a encore  jamais osé écouter un arbre mort. Dans sa tête, les arbres sont rangés en catégories très distinctes. Ceux qu'il aime et ceux qu'il n'aime pas (sans raison). Ceux auxquels il est trop facile de grimper. Ceux auxquels il a un peu peur de grimper. Ceux d'où l'on peut voir, tout en haut, et ceux d'où l'on ne voit rien. Il y a aussi des catégories plus compliquées. Les arbres sont vivants mais pas comme les animaux. Quelle différence? Un, l'arbre est plus accessible. Deux, l'arbre est plus mystérieux. Trois, l'arbre est fixe. Quatre, l'arbre peut le cacher. S'il entaille l'écorce d'un arbre, il ne pense pas que l'arbre éprouve de la douleur. Quand une grosse branche est élaguée, il n'y a ni le son ni l'odeur de la douleur. Néanmoins, quand il est collé à l'écorce d'un arbre, il sent que celui-ci est vivant contre sa peau, bien plus que s'il se fiait à son raisonnement logique. Quand il touche un animal, la volonté de ce dernier intervient. Il y a un arbre dans lequel il monte le plus haut possible, et qu'il embrasse. Toujours au même endroit.

John Berger, G., Éditions de l'Olivier, 2002, p57-58.

1 commentaire:

  1. Merveilleux passage , on pourrait dire un coup de cœur, qui relate un geste authentique que ce soit envers un arbre, un livre, une philosophie ; c'est une attirance naturelle qui correspond à ce qu'il y a de plus vrai, de plus sincère, comme un élan de tendresse, un désir de justice ou de reconnaissance dans le cœur de l'homme et plus particulièrement de John Berger.

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